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jeudi 14 novembre 2013

Coup de blues:


Je n’étais pas très bien ces jours ci. Comme un manque d’appétit généralisé. Rien qui ne me motive vraiment. Le matin, un éveil sur des journées sans promesse. Mes insomnies à répétition y sont sûrement pour quelque chose. Je n’arrive pas ensuite à me mettre à des activités demandant un tant soit peu d’implication, travailler, écrire. Je traîne, je zappe, la journée passe…
En plus j’ai dû faire face à une assez sérieuse contrariété matérielle. Ce n’est que matériel et pas vraiment grave, donc je devrais m’en détacher sans peine. Mais je n’y parviens pas. Je me dis que j’aurais pu, en agissant différemment, faire que ce qui a causé cette contrariété ne se produise pas. Peut-être mais peut-être pas. En tout cas, comme à mon habitude dans ce genre de situation, je ne peux m’empêcher de ressasser mon éventuelle erreur, redoublant ainsi la contrariété objective d’une pénible auto flagellation qui est la vraie source de mon malaise, bien plus que le souci d’origine.

Tout, alors quand je suis dans cet état d’esprit, m’agresse. La simple lecture du journal m’est pénible. Il faut dire que rien ne va fort en ce moment et que les nouvelles inquiétantes s’accumulent. Rien ne semble aller dans le bon sens ni pour la terre dans sa globalité, ni dans la situation internationale, ni dans la société française. La crise se digère mal. Les tentatives de régulation du système financier s’enlisent, les paradis fiscaux se portent mieux que jamais, les efforts pour juguler la crise climatique sont reportées aux calendes, les communautarismes s’exaspèrent, les frontières se referment. Partout des réactions de frilosité, de peur, de repli. L’Europe tourne à vide et la politique française quant à elle semble frappée d’impuissance. J’ai voté pour Hollande sans attendre de miracles et bien conscient que la route ne serait pas semée de roses. Mais là on reste confondu devant la multiplication des couacs et des zigzags. L’exemple de la fiscalité est caractéristique. Par refus d’engager une véritable réforme d’ensemble, pourtant présente dans son projet et pour laquelle existait des pistes sérieuses, notamment à partir des propositions de Piketti, on se retrouve avec des mesures qui vont dans tous les sens, qui manquent de lisibilité, rajoutent de la complexité. Et qui donnent prise à l’affirmation de tous les intérêts particuliers, aux manifestations de tous les groupes de pression y compris les plus ringards. L’écotaxe, sur le fond, était un bon principe, la voici compromise ou en tout cas repoussée aux calendes, tandis que brûlent les portiques chargés d’en préparer la collecte, comme brûlent aussi des radars de contrôle de vitesse, dont la multiplication pourtant contribue à sauver des vies. C’est un climat de jacqueries qui s’installe qui repose sur de véritables exaspérations mais qui profite aussi aux manipulateurs d’extrême-droite qui peuvent s’en donner à cœur joie pour jeter de l’huile sur le feu ou pour réactiver les propos racistes les plus nauséabonds.
Je me refuse au mépris systématique de la classe politique et suis agacé par le discours trop fréquents sur le « tous pourris ». Je veux bien que les politiques soient tous manœuvriers et portés par des ambitions personnelles, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont mus par le seul cynisme, il y a parmi eux des gens qui y croient et essaient de faire avancer les choses. Dire le contraire c’est alimenter encore un peu plus le délitement de la démocratie et de la société, contribuer à faire le lit des Marine Le Pen et des pires populismes. Mais force est de constater que dans la dernière période, les politiques se donnent pas mal de verges pour susciter de telles réactions de rejet et cela me désole profondément.

En voyant les portiques brûler, j’ai eu un flash. Chili, été 1973. A Santiago, de la terrasse de notre hôtel, peu avant notre retour vers l’Europe, j’observe de haut les camionneurs qui obstruent les rues, allument des feux aux croisements, lancent des fumigènes. Bien sûr les situations n’ont rien à voir. N’empêche l’image m’est revenue, ce n’est pas un hasard. Je me souviens que j’avais écrit il y a quelques années un billet sur mon séjour au Chili. Magie des liens hypertextes et de la fonction recherche dans les blogs. Je le retrouve. Le voici. Relu avec émotion. Comme elles paraissent vieillottes ces pages internet d’alors, mais le texte je l’écrirai de la même façon aujourd'hui. Peut-être que ma sensibilité exacerbée face à l’évolution générale du monde et, plus spécifiquement, face à l’impuissance de nos politiques, vient en vérité de là : me souvenir de ce à quoi j’ai cru, me souvenir que, passé les années activistes et ses désillusions, je ne me suis jamais moi-même investi dans l’action publique, en garder comme une culpabilité sous-jacente qui, sans vraiment devenir consciente, remonte silencieusement en moi dans mes moments de fragilité.

Bon, je ne vais pas en rester là, sur ces notes un peu sombres. Ça va mieux. Hier nous avons fait trois bonnes heures de marche, dans un paysage noyé de brume et de bruine. Ça fait respirer et ça décape le corps mais la tête aussi. Les élagueurs sont passés dans le jardin, redonnant une respiration à « l’allée aux figuiers » qui était devenu une jungle et moi j’ai planté un cerisier, acheté au marché aux arbres du 11 novembre. Et puis j’ai pu me mettre à écrire ce texte et aller jusqu’au bout. Ça m’a permis de sortir de l’apathie. Indépendamment du plaisir que je peux prendre à écrire (je ne l’ai pas tellement ressenti avec ce billet), il est sûr que le simple fait d’avoir l’esprit focalisé sur une réalisation peut faire du bien et que c’est bien là une des raisons principales qui depuis des années me fait écrire. 
Ce matin j’ai mis à mariner deux kilos de bourguignon, tout à l’heure je vais entrer en cuisine, un bon plat roboratif en perspective pour ce soir et, le froid arrivant, sans doute allumerons-nous un premier feu dans la cheminée et mettrons-nous à griller quelques châtaignes avant d’aller nous poser devant la suite de Top of the Lake, l’excellente série télé de Jane Campion. Pour l’heure je relis et complète ce billet avant de le mettre en ligne. Puis je vais reprendre ma plongée dans le journal Dupuy, délaissée depuis pas mal de temps. Il faut que je m’y remettre, la présentationque nous devons en faire approche.

4 commentaires:

  1. il est vrai que la réalisation des choses est un bienfait, je n'aurais pas mieux dit ! c'est émouvant aussi de revoir les échos :)

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  2. Intéressant de lire ce parallèle entre des évènements anciens et ce que tu perçois de la situation actuelle...

    Très peu au fait de l'actualité, par trop morose, je me dis parfois que je ne vois peut-être pas monter les tensions. Mais le verrais-je... que pourrais-je faire de plus ?

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  3. Oui c'est vrai que c'est sympa de retrouver une note ancienne, de retrouver ce qu'on disait du sujet, de faire par ce biais un peu revivre d'anciens Echos. Un peu contradictoire avec mon précédent billet "Plongée délétère". Pas vraiment en fait, lorsqu'on va chercher quelque chose de précis et qu'on le trouve c'est la satisfaction qui l'emporte alors que c'est au contraire l'impression "d'à quoi bon" qui domine quand on compulse des volumes et des volumes d'écrits anciens en y zappant au hasard.

    Ta position, Pierre, est la sagesse, mais il n'empêche que l'on peux parfois se sentir méchamment agressé, voire fragilisé, par cet environnement si morose.

    Merci de vos passages.

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  4. Quand on n'est pas très bien dans ses godasses (blues), mieux vaut éviter de s'en rajouter une couche avec l'actu médiatique qui à l'art de nous démoraliser....
    On dirait qu'il n'y a plus que 2 trucs qui marchent dans les médias ordinaires :
    - le catastrophisme apocalyptique
    - la grosse rigolade des humoristes has-been ou sortis de chez Ruquier....

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