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samedi 31 août 2013

Des livres et de la littérature



Mes lectures estivales ont été assez éclectiques. Outre deux essais autour des technologies numériques  dont je rendrai compte ailleurs, j’ai lu divers romans ou récits. Tous (ou presque) m’ont plu, à des degrés et titres divers. Mais pour certains je me suis dit « ça c’est vraiment de la littérature » et pour d’autres non.
Dans la première catégorie je mettrai par exemple Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeannette Winterson , Clèves de Marie Darrieusecq, Tu, mio d’Erri de Lucca (C’est en lisant ce dernier livre d’ailleurs que m’est venue cette réflexion). Dans la seconde Le chinois d’Hennig Mankell, Deux dans Berlin de Birkefeld et Hachmeister, Indigo de Catherine Cusset.
 Il ne s’agit pas de hiérarchiser.  J’ai beaucoup aimé le Mankell et le Birkefeld/Hachmeister, des romans palpitants, qui tiennent en haleine, aux personnages multiples et riches et qui de surcroît ont un riche soubassement documentaire, sur le rapport de la Chine à son histoire pour le premier, sur la vie à Berlin dans les derniers mois de la guerre pour le second. Cusset, c’est beaucoup plus faible, une histoire de bobos en Inde qu’on oublie aussi vite qu’on l’a lue.
Mais dans les trois autres livres il y a autre chose, qui tient à la forme elle-même, aux mots employés et à la façon dont ils opèrent entre eux, bref au style, duquel se dégage une musique spécifique, une voix, qui nous accroche, nous retient pour elle-même, presque indépendamment de ce qu’elle a à dire sur le fond, par le rythme qu’elle crée, par les évocations et les ambiances qu’elle porte. On à l’impression d’être devant un autre type de travail (du point de vue de l’écrivain) et dans un autre type de plaisir (du point de vue du lecteur), c’est là qu’on peut parler d’un plaisir véritablement littéraire.
Je le répète, je ne hiérarchise pas, dans mes lectures estivales l’attrait du fond l’a parfois emporté sur l’attrait de la forme, et je sais bien sûr que ce que dis est une généralisation qui n’est sûrement pas toujours pertinente. N’empêche cela m’a frappé dans ces quelques lectures, j’ai bien senti que je les approchais, les dégustais différemment, en tirais des plaisirs différents.



jeudi 15 août 2013

Paris, 15 août



Je n’ai que rarement eu l’occasion d’être à Paris au mois d’août et jamais peut-être à la mi-temps du mois. Je suis frappé par l’extraordinaire calme de la ville, les rues m’y paraissent presque vides, aussi bien de piétons que de voitures, le périphérique lui-même hier à la mi-journée ne déroulait qu’un flot très espacé de véhicules, la rumeur de la ville est assourdie…

D. est repartie quelques jours en banlieue chez sa mère, je mène un petit train tranquille, je me promène beaucoup, marche le nez au vent,  je n’ai pas tant que ça envie de me précipiter dans les salles obscures ou dans des expositions, et d’ailleurs il n’y a pas grand-chose de très affriolant au programme. J’ai vu deux films quand même, Gold de Thomas Arslan, pas mal mais une progression un peu téléphonée et Je ne suis pas mort de Medhi Ben Attia, très décevant. Il ne fait pas trop chaud, ce qui est agréable pour la promenade, mais, rien à faire, même sans canicule, même avec une circulation allégée, Paris pue, surtout l’après-midi.

Mes pas m’ont mené plutôt dans des lieux déjà connus, dans mon quartier élargi plutôt qu’à l’autre bout de la capitale. Je note les changements. Il y a de ci de là pas mal de nouveaux pochoirs de MissTic, quelques jolis murs peints qui n’y étaient pas. Dans une petite rue derrière la Manufacture des Gobelins un terrain vague qui avait longtemps résisté et que j’ai photographié à plusieurs reprises a disparu, il s’y est construit un important bâtiment qui abritera crèche et centre de PMI. Nécessaire sûrement mais la disparition des rares espaces à l’abandon qui persistaient dans Paris est toujours un peu triste. D’autant que le bâtiment, du moins en l’état (il n’est pas tout à fait terminé) me parait peu réussi : de gros cubes un peu écrasants, qui ne ménagent pas de respiration, et qui étouffent la rue très étroite dans lequel ils sont construits. Je suis resté assez longuement dans le jardin public proche à lire, mi-ombre, mi-soleil. Le parc aussi était très vide, pas de jogger ou de taïchiste comme à l’habitude, quelques mamies, quelques jeunes enfants dans l’espace jeux, mais si peu par rapport à l’habitude. Je me suis souvenu être venu ici bien des fois avec mes propres enfants petits, il y a quoi, vingt, vingt-cinq ans ! Puis m’est remontée une autre image oubliée, ancienne aussi quoique plus récente, je n’étais plus avec les enfants, c’était un début d’été, fin juin sans doute, il faisait extrêmement chaud, je passais en solitaire dans ce jardin et m’y était assis à l’ombre pour lire mon journal. Une jeune femme très belle était arrivée avec un petit garçon. Elle portait une robe légère extraordinairement courte. Elle a accompagné l’enfant sur l’aire de jeu, l’aidant à grimper sur un toboggan, contrôlant ses descentes, se penchant vers lui quand il jouait dans le sable, totalement insoucieuse (ou, qui sait, très consciente) de ce qu’elle révélait de son anatomie à chacun de ses mouvements. Je me suis déplacé,  Cédant à ma vieille pulsion voyeuriste, j’ai changé de banc pour mieux être au spectacle, ne jetant plus que des coups d’œil distendus sur mon journal pour donner le change. Elle était restée un long moment puis était repartie, donnant la main à l’enfant et je l’avais suivi des yeux jusqu’à ce qu’elle s’efface. Quelque temps plus tard j’avais, partant de cette image et lui imaginant une suite, écrit une jolie petite nouvelle érotique.

Est-ce cette évocation ? En rentrant, j’ai eu envie d’écrire. J’ai repensé à un scénario imaginé il y a pas mal de temps déjà. Une nouvelle est venue assez facilement. Je me suis fait plaisir à l’écrire. Comme chaque fois que je me risque à la fiction, j’ai été surpris de ce qui sortait, de la façon dont les mots en entraînent d’autres et nous conduisent un peu ailleurs, un peu plus loin que là où on passait aller d’abord. C’est ça le plaisir de la fiction, ces surgissements que l’on n’attendait pas, ces surprises que l’on se fait à soi-même. En l’occurrence ici, c’est au milieu de l’histoire inventée, une bribe d’un souvenir qui s’est imposée et qui s’est tressée dans le récit. Je  me suis rendu compte en enregistrant ma petite nouvelle avec les autres, que je n’en avais pas écrit depuis 2010. J’avais tort. Je me régale quand je prends le temps de m’y mettre. Et ça relance de façon générale la machine à écrire puisque, à peine avais-je terminé, que j’ai eu envie d’écrire ce petit billet.

Peut-être est-ce aussi ce moment de latence parisienne, cette solitude paisible, qui a favorisé cette envie d’écrire. Tout à l’heure, D. revient de banlieue et ce soir nous avons fils ainé à dîner, entre nos voyages et les siens, cela fait plus de deux mois qu’on ne l’a pas vu, c’est un plaisir aussi de telles retrouvailles…




lundi 12 août 2013

Retour de Suisse



Me voici à Paris pour quelques jours en mode connecté avant de repartir une quinzaine en Bretagne, de nouveau sans connexion (et oui, je suis un être d’autrefois, mon téléphone portable d’ancienne génération ne me permet pas de connexion, mais j’aime ça aussi, ces temps de mise à distance de l’internet, de son grésillement continu et de ses sollicitations multipolaires).

J’ai bien aimé ce séjour suisse. Comme je le craignais il n’a pas été toujours facile de s’organiser pour fonctionner au mieux des envies et possibilités de chacun avec nos « anciens », mais finalement ça s’est bien passé, chacun a pu se faire plaisir à son niveau et moi aussi, même si j’aurais sans doute aimé faire aussi quelques randonnées un peu plus engagées. Le temps est resté superbe pendant presque tout le séjour, sauf les trois derniers jours.

Il y a un certain charme spécial au fait d’être en Suisse, même par rapport à nos Alpes du Nord l’ambiance est différente. Il y a d’abord l’ampleur de ces montagnes des Alpes valaisannes, à côté le massif du Mont-Blanc même s’il culmine plus haut est presque riquiqui, ici les vallées sont profondes, on s’enfonce au cœur même du massif, les 4000 ne sont pas juste devant soi comme lorsqu’on est à Chamonix mais tout autour de nous, à droite, à gauche, devant… Et puis il y a ce côté très léché, très carte postale, les chalets, les enclos derrière leur barrières en bois, les potagers et les nains de jardin, les géraniums aux balcons, les drapeaux suisses et les drapeaux valaisans à tout bout de champ, les chapelles, les calvaires, les psaumes sur des panneaux de bois au détour des chemins, la profusion des fleurs dans les prairies, le charme particulier des mélèzes avec ce dessin élégant et léger de leurs ramures d’aiguilles, avec cette lumière particulièrement douce sous leur couvert. Il y a là quelque chose qui me fait remonter très fort les souvenirs de lecture de La Montagne magique

La montagne est très équipée. Avantage : on monte d’emblée très haut, cela permet de bénéficier d’ambiances hautes montagne sans avoir à grimper mille mètres de dénivelée, c’était spécialement appréciable pour les parents, pour mon père en particulier qui a pu ainsi faire quelques belles balades pas trop longues au-dessus de la montagne à vaches. Inconvénient : la montagne est un peu dénaturée par la multiplicité de ces équipements, par les chemins d’accès pour les véhicules d’exploitation, par les pistes de ski un peu partout, tout cela sans doute plus perceptible au mois d’Aout lorsque le déneigement est très avancé. La région doit être encore plus belle en juin, lorsque la neige recouvre une partie de ces terres abimées ainsi que les zones de recul des glaciers,  pas spécialement esthétiques lorsqu'elles ne sont que grises caillasses comme en cette fin d'été.

La vallée de Saas-Fee où nous avons résidé cette année est moins sauvage que celle d’Arolla où nous étions il y a trois ans. Mais il reste tout de même des espaces libres, de vastes prairies entre les maisons, bref cela respire. Impression toute différente à Zermatt où nous avons fait un tour tout de même, histoire de voir le Cervin (raté d’ailleurs, ce jour là les nuages sont restés accrochés à mi-pente des sommets), la vallée est entièrement construite jusque sur les pentes raides qui la bordent, les chalets anciens et les hôtels belle-époque sont totalement noyés au milieu des constructions disgracieuses et les grues sont en action sur les moindres parcelles restées libres. La foule est partout, très cosmopolite, sur les parkings, dans la navette, dans les rues et cela donne, malgré l’absence de voitures dans la station elle-même, un aspect très urbain et très étouffant à l’ensemble.

Une autre curiosité de la vallée de Saas-Fee est qu’elle est manifestement un lieu de vacances très prisée de nombreuses communautés de juifs orthodoxes, venus de toute l’Europe, qui s’y retrouvent. On les voyait en grand nombre, bien plus que Rue des Rosiers à Paris. C’était tout à fait étrange de les voir déambuler dans cette ambiance de chalets suisses et ça rajoutait un petit côté décalé, désuet, au lieu, c’était comme si soudain Isaac Bashevis Singer se mêlait à Thomas Mann. Les costumes ou l’allure pouvaient subtilement varier, selon, j’imagine, les origines géographiques ou des courants religieux spécifiques, mais on retrouvait toujours les chapeaux (grand chapeaux à larges bords mais aussi chapkas), les chemises blanches et les habits noirs, les jeunes femmes brunes en jupe sombre suivi de leur ribambelle de jeunes enfants. On les voyait surtout dans la vallée mais certains randonnaient également et l’on pouvait en croiser, toujours en costume traditionnel mais portant cependant de bonnes chaussures de marche, le plus souvent également en famille. J’ai cherché sur internet s’il y avait une cause particulière à cette présence étonnante, historique peut-être (la vallée a-t-elle été un refuge pendant les années noires ? des personnalités du judaïsme orthodoxe y ont-elles vécu ?) mais je n’ai rien trouvé.

Saas-Fee, Saas Grund et la chaîne depuis Kreuzboden

L'Allalinhorn et le Dom

Le village de Saas-Fee

Dans la douce lumière des mélèzes

L'Allalinhorn depuis Brittanica Hutt

La chaîne depuis Hohass

Sur le névé

Chapelle à Trifalp

Quelques fleurs

Cœur d'arnica