Pages

mercredi 6 novembre 2013

Plongée délétère



J’ai donc profité, le week-end dernier, du temps médiocre et de ma solitude, pour me plonger dans les boîtes d’archives dans lesquelles je serre toutes mes écritures, celles de ce blog comme celles des précédents, les entrées que j’ai publiées, comme celles que j’ai retenues dans mon privé (gêne à l’égard de tiers, images de moi que je n’avais pas envie de donner), des journaux d’avant internet, quelques correspondances et quelques tentatives d’écriture de fiction, des nouvelles principalement…

Tout ça est à peu près classé, organisé, trié. Ma névrose d’ordre a été suffisamment opérante pour qu’il en soit ainsi. Bon, c’est déjà ça. Mais je me suis un peu torturé sur ce que je pouvais améliorer. J’avais envie de faire des tirés à part, par exemple de tout ce qui concerne les rêves, pour avoir une sorte de cahiers de rêve, dans lequel, précisément, aller rêver. J’aurais voulu aussi améliorer ce que j’appelle mes mémentos, liste de films vus, de livres lus, d’expositions ou visites diverses, qui n’ont pas donné lieu à un compte-rendu développé dans un billet mais dont j’aime cependant à conserver une trace et dont je constate que j’ai beaucoup de mal à les tenir ne serait-ce qu’à peu près à jour. Les relectures entreprises, le zapping au milieu de ces pages, m’ont vite donné le bourdon. J’ai papillonné dans tout ça, sans parvenir à me mettre à rien vraiment, conscient de ce qu’il y a de mortifère dans ces accumulations, dans cette volonté d’organisation qui se voudrait totalisatrice.

J’ai idée de déposer tout ce qui est autobiographique à l’APA un de ces jours. J’ai la faiblesse de croire que certains plus tard pourront avoir quelques plaisirs de lecture avec mes textes, comme j’en prends moi-même avec des écrits de ceux qui m’ont précédé. Et certains y trouveront peut-être des aliments à des études sur l’air du temps où j’aurai vécu. Tout ça n’est pas faux.
Et c’est en tout cas, une des choses que je me dis pour justifier à mes propres yeux ces heures et ces heures d’écriture et la conservation que j’en fais. Mais l’essentiel et qui vous saute à la gorge, quand on se relit ce n’est pas ça. Ce n’est pas la pensée de ce qui servira peut-être et de la trace infime qu’on laissera. Ça c’est pour les autres. Pour soi, ce qui est l’évidence c’est que la pelote se dévide à toute vitesse et de plus en plus vite à mesure qu’on avance. Les entrées vous renvoient à des pensées, à des sentiments, à des évènements qu’on dirait d’hier et puis on réalise que c’était il y a cinq ans, il y a dix ans. On peut certes avoir un certain plaisir à se relire, en réactivant certains moments, en les faisant vibrer à nouveau en soi, mais c’est de plus en plus rare, car, de plus en plus, c’est le caractère parfaitement vain de cette tentative de retenir le temps qui vous étreint. Bien sûr on l’a toujours su. Mais on ne le vivait pas de la même façon, on pouvait se raconter des histoires, se prendre à l’illusion, se dire qu’on se construisait aussi avec ça, qu’on s’aidait de son passé pour aller de l’avant. Ça ne marche plus désormais. On y va de l’avant, ça c’est sûr, on y va, on y va, vers l’inévitable déclin.
Bref, sauf recherche particulière, on ne se fait pas plaisir à farfouiller là-dedans, pas plaisir du tout. La lecture continue sans objectif particulier ou la promenade de hasard est délétère. 

Il faut toujours garder à l’esprit l’idée d’un bon usage de nos écritures. Le bon usage, le seul véritable bon usage, c’est la capacité que l’on a de se faire plaisir au travers d’elles. Et ce bon usage n’est sûrement pas le même à vingt ans, à quarante ans, à soixante ans. Plus on avance, plus le plaisir ne peut se faire que dans l’immédiat, le plaisir de l’agencement des mots, le plaisir d’une page que l’on juge réussie, le plaisir de l’écho que tel ou tel lecteur nous en donnera. Tant qu’il y a cela il y a un sens à continuer. Mais si cela devait disparaître ou par trop s’émousser, alors il faudrait s’arrêter et s’arrêter sans le remords de renoncer à conserver.
Le tombeau que l’on constitue par la conservation et l’accumulation dans la perspective de donner a peut-être un sens, un sens pour ceux qui recevront, pas pour nous-mêmes. Cela vivra peut-être un peu quand on n’y sera plus, mais justement, on n’y sera plus. Pour nous le tombeau n’est qu’un tombeau.


3 commentaires:

  1. Peut-être que plus on avance en âge, plus ce genre d'écriture devient autotélique...

    Mais il y a peut-être ceux "d'après" .Tu évoques l'APA, je pense aussi à nos descendants.
    Mon père avait lassé pas mal de choses éparses, sur l'histoire de la famille et sur sa propre histoire. Je l'ai souvent entendu avec des accents de découragement : "Que veux-tu que je fasse de tout ça !"
    C'est mon frère qui, après sa mort, a trié, remis en ordre, en forme, écrit...
    Total : + de 2 000 pages A4 reliées en 2 volumes sur 10 ans de travail (pas tous les jours évidemment....). C'est devenu une saga passionnante....

    Te lisant depuis longtemps, tu as un style bien à toi, des reflexions riches et documentées, une chronique de vie intéressante...
    Passé les temps des "ressentis complexes" que tu évoques... Une décantation créative pourrait venir...
    Je me permet de t'y encourager....

    RépondreSupprimer
  2. Tu te doutes que ton texte résonne en moi qui travaille sur le temps vécu. Sur beaucoup de points, je te vois comme un grand frère, un peu plus avancé que moi dans son expérience de la vie. Alors j'essaie de comprendre, et j'imagine que je ne comprendrai réellement tes mots que le jour où j'expérimenterai cette impression. Notamment ce passage : "Mais on ne le vivait pas de la même façon, on pouvait se raconter des histoires, se prendre à l’illusion, se dire qu’on se construisait aussi avec ça, qu’on s’aidait de son passé pour aller de l’avant. "

    Je pensais à toi cet après-midi en regardant le pot de confiture de kiwis non entamé et je me disais qu'il y avait bien longtemps que je ne t'avais donné de nouvelles.

    Revenir ici, c'est s'envelopper de chaleur. Je ne parle pas de celle du Sud (quoique) mais de ce petit cercle d'amis que je ne croise qu'ici. On voit de la lumière aux fenêtres, dehors il fait nuit, on entre et une douce chaleur nous enveloppe. Et là, au fond de la salle, sont attablés les vieux amis, ceux qu'on a perdus de vue et qu'on prend plaisir à retrouver comme si on les avait quittés la veille. C'est bon de te lire, c'est bon et chaud de lire les commentaires.

    Je t'embrasse !

    RépondreSupprimer
  3. Merci Alain de tes encouragements.
    Oui bien sûr je le sais pour ce qui est de ceux d'après. C'est d'ailleurs bien pourquoi je suis tant engagé dans l'APA (Tiens d'ailleurs AlainX and family ça ferait de sacrées riches ressources, je m'étais déjà dit cela au moment où tu avais sorti ton texte Le passage se crée). Mais malgré cela il y a ce ressenti si fort, que tout ça, cette pensée même, n'est que façon dérisoire de lutter contre la perspective de notre propre effacement.

    Oh Myriam que ton passage et tes mots me font plaisir! Oui, ce sentiment qu'existe encore un petit peu de ce qui fut, un petit peu de ces cercles amicaux et un plus qui nous ont fait vibrer il y a quelques années, qu'il reste encore quelquechose de cette chaleur, tout cela me porte encore et entretient mon envie, pourtant si souvent flageolante, d'écrire ici. Je t'embrasse moi aussi et te dis à bientôt.

    RépondreSupprimer