La semaine dernière, lorsque
je me suis trouvé perturbé par la perte de mes yeux d’appoint, j’étais occupé à
ma pêche aux blogs, une activité bizarre à laquelle je consacre un peu de temps
deux fois par an.
Depuis que j’ai découvert
les premiers sites internet d’expression personnelle en ce temps lointain où
les blogs n’existaient pas, il y a plus de dix ans, je me suis toujours demandé
quelles traces il resterait, les années passant et compte tenu de la volatilité
d’internet, de ce patrimoine d’écritures et d’expériences. Bien des sites
pionniers ont d’ores et déjà totalement disparus et ne sont plus présents nulle
part sur la toile. Je m’amuse parfois à pointer à partir d’une page de liens
que Valclair avait construit en d’autres temps (en 2004, une éternité à l’aune
du temps internet !) et constate chaque fois que plus de liens mènent dans
le vide. C’est dommage car ces innombrables sites, outre de révéler quelques
vrais talents d’écriture (ou d’expression par d’autres moyens) sont un
formidable reflet de la société et de l’air du temps, sûrement précieux pour
des historiens de l’avenir.
L’APA, qui a, entre autres,
pour vocation la conservation des écritures des « personnes
ordinaires », de ceux qui ne sont pas des écrivains ou personnalités
reconnues et n’accèdent pas de ce fait à la publication classique, ne pouvait
manquer de s’intéresser à la sauvegarde de ces nouveaux supports d’expression
personnelle. Elle a noué dans cette perspective un partenariat avec la
Bibliothèque nationale de France pour contribuer, à sa modeste mesure, à ce
travail de sauvegarde. On trouvera ici quelques documents qui explicitent dans
quel esprit se fait ce travail.
Concrètement tous les six
mois le robot de la BnF va collecter en profondeur un certain nombre de sites dans
divers domaines, repérés par ses bibliothécaires ou signalés par des
correspondants extérieurs, des membres de l’APA justement pour ce qui est des
blogs d’expression personnelle. Et c’est donc à ce titre que périodiquement je
pars en tournée d’exploration pour faire ma propre petite moisson que je
transmets ensuite à la BnF.
Au départ j’ai transmis des
sites découverts de façon concentrique à partir de la blogosphère que je
fréquentais. J’ai cherché aussi par des pointages aléatoires ou par des
recherches sur Google à trouver des cercles éloignés des miens, de gens ayant
des types de préoccupations et d’intérêts totalement différents des miens. J’étais
alors moi-même dans une vraie gourmandise de découvertes, donc je faisais ça
assez spontanément et au fil du temps. Maintenant c’est un peu différent. Je
passe moins de temps en ligne, je lis moins de blogs, je me contente de suivre
quelques personnes qui au fil du temps sont devenus pour la plupart des amis,
donc j’explore moins pour moi-même.
Mais j’aime encore, même si
c’est de façon plus ponctuelle, faire ces plongées au hasard de la blogosphère,
lorsque je m’y trouve incité par la date couperet de la prochaine collecte de
la BnF. Je trouve encore chaque fois des blogs intéressants, consistants ou originaux,
parfois en ligne depuis plusieurs années et que je n’avais jamais croisés. Je
sais que je ne ferai guère qu’une visite ou deux, je lirai seulement quelques
billets de ci, de là, juste pour percevoir un peu de quoi il retourne, pour
saisir une ambiance. Je n’y reviendrai pas, je n’ai nulle intention d’agrandir
ma liste de favoris (quoique, sait-on jamais, si j’ai un coup de cœur !).
La blogosphère est un océan mouvant aux frontières indéfinies. Elle reste très
vivante même si elle est désormais concurrencée par les réseaux sociaux qui
offrent d’autres formes de communication et d’expression. Le format blog n’est
plus qu’un format parmi d’autres, alors que pendant quelques années il était
quasi hégémonique. Cependant je suis convaincu qu’il correspond à des besoins
particuliers et qu’il ne disparaîtra pas au profit d’outils qui seraient issus
des réseaux sociaux, plus « modernes » ou plus
« tendance ».
Je sais qu’il existe des
outils de cartographie de cet océan mais je ne les connais pas, ne maîtrise pas
les procédés selon lesquels ils sont construits. Alors je me promène au jugé et
lance mes filets au hasard. C’est une pêche artisanale. Quand je tombe sur un
site intéressant je vais explorer sa blogroll spécialement lorsque celle-ci
comporte peu ou pas d’adresses que je connaissais déjà, signe que je suis dans
un territoire éloigné du mien. Bien sûr tout ça ne suffit à constituer un
échantillon qu’on pourrait dire représentatif de la blogosphère francophone à
un moment donné. Mais c’est un échantillon tout de même, ce sont des traces,
toutes sortes de traces de notre temps et de quantité d’invidualités humaines
qui l’auront traversé.
Naturellement par moments le
côté dérisoire de cette collecte, comme d’ailleurs de nos activités de
scribouillards de nous-mêmes, sur internet ou ailleurs, ne m’échappe pas.
Qu’est ce que tout ce que cela pèse, nos petits écrits et nos petits egos, une
ride sur l’océan de l’histoire humaine, laquelle n’est qu’une ride dans ce maelström qui entraîne notre petite planète dans l’infini du temps et de
l’espace. Certes, mais puisqu’on est là et tant qu’on est là, ce n’est pas
après tout, une activité plus dérisoire que beaucoup d’autres !