Pages

mardi 4 décembre 2012

Un samedi, du Maghreb à Rousseau



Ma journée du samedi 1° décembre a été décidément  totalement placée sous le signe de l’autobiographie !

Le matin nous avons tenu le CA de l’Association pour l’Autobiographie dans laquelle, comme on sait, je m’implique très activement. L’après-midi l’association organisait à l’ENS rue d’Ulm, une Table ronde publique autour des textes de notre fonds concernant le Maghreb. Nous avions publié en 2010 un Cahier sur le sujet, mais depuis nous avons reçu de nombreux nouveaux textes, certains de ces dépôts sont devenus des livres publiés et de plus le 50° anniversaire de l’indépendance algérienne incitait à faire le point. J’allais à cette réunion plus par amitié avec ses animateurs que par intense intérêt personnel, enfin je me disais que c’était un sujet sur lequel j’avais déjà beaucoup lu et sur lequel je ne m’attendais pas à apprendre grand-chose.
Mais j’ai trouvé la séance vraiment très intéressante de bout en bout, variée dans ses approches, comportant des témoignages lumineux, certains même bouleversants. Les interventions de chaque participant étaient précédées de la lecture de courts extraits de leur texte ce qui rajoutait le suc de la tonalité et du style particulier de chaque auteur à leurs interventions orales.
Anne-Marie Sirrochi-Fournier a évoqué son enfance tunisienne dans les années 1950-1960, telle qu’elle l’a présentée dans son texte « 50 rue Caton, une enfance tunisienne ». C’était ici la présentation très vivante d’une enfance heureuse dans un milieu cosmopolite où se mêlaient langues et religions. La discussion avec la salle a montré combien les expériences de ces enfances maghrébines d’avant les indépendances pouvaient être différentes, certains insistant plus sur les ressentis d’ouverture et de tolérance entre communautés, d’autres sur la prévalence néanmoins de la communauté propre à chacun.
Gérard Kihn, auteur de « Algérie, le Sang des autres », également déposé à l’APA et publié depuis, engagé volontaire dans une unité de parachutiste prend progressivement conscience de la salle guerre dans laquelle il est entrainé, des pratiques de torture qui s’y déroulent, il quitte l’armée complètement dégoûté en 1959, il reste en Algérie quelque temps encore travaillant dans l’exploitation pétrolière, désespéré de constater la spirale de violences gratuites frappant des innocents des deux camps. C’est un homme profondément et durablement blessé qui est sorti de cette expérience. Ce témoignage à la fois très dur et très mesuré, très pudique dans son expression était particulièrement émouvant. Gérard Kihn a également montré comment l’écriture puis un engagement dans l’association des 4acg (Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre) avaient contribué à l’aider à sortir du traumatisme.
L’intervenante suivante, Corinne Chaput-Lebars, lui faisait totalement écho. Elle vient de soutenir une thèse sur « Les effets de raccommodements produits par l’écriture du récits de situations extrêmes » qu’elle a appuyé sur l’étude de quatre récits d’appelés pendant la guerre d’Algérie, complété par des entretiens très approfondis, l’un étant celui de son propre père et deux autres étant des textes qu’elle a trouvé à l’APA. C’est le silence qu’avait longtemps gardé son père, sa difficulté à entreprendre ce travail et les apaisements qu’il en a tiré qui a donné à C. Chaput-Lebars l’idée de son sujet de thèse. Le concept de raccommodement qu’elle a développé est une forme particulière de résilience lorsque l’essentiel du traumatisme du sujet provient d’une violente dégradation de son estime de soi, ce qui était le cas pour ces appelés ordinaires amenés à accomplir des actes odieux. Une discussion fort intéressante a suivi, évoquant les effets familiaux d’un tel travail, dans son propre rapport à son père comme au sein de sa fratrie.
Enfin le sociologue Malik Allam a évoqué sa vie entre deux rives. Né en Algérie où il a vécu ses premières années juste après l’indépendance, il l’a quitté clandestinement avec ses sœurs et sa mère française après le décès de son père algérien. Il a évoqué son père et cette enfance dans un pays qu’il ne croyait pas revoir  dans un texte personnel « Ecrire-mourir » déposé à l’APA, qui est aussi journal des recherches qui ont abouti à son livre « Journaux intimes : une sociologie de l’écriture personnelle » publié en 1996. Il a évoqué pour nous le voyage qu’il a finalement effectué de l’autre côté en 2005 avec sa femme et ses propres enfants, les effets que cela a eu sur lui et l’envie que cela lui a donné de revenir peut-être à une écriture autobiographique abandonnée depuis longtemps.
Chez l’ensemble de ces intervenants il était passionnant de voir comment s’articulaient parcours de vie, parcours d’écriture et parcours professionnel ou de recherche. Cela montrait bien aussi comment des premières écritures déposées à l’APA pouvaient être des déclencheurs parfois de bien autre chose pour les auteurs eux-mêmes ou pour d’autres qui se penchent sur leur travaux, confirmant ainsi la pertinence du travail mené par l’Association. D’ailleurs plusieurs personnes ont évoqué au cours de la discussion des écritures amorcées ou en projet soit sur leur propre jeunesse au Maghreb, soit sur leurs souvenirs d’appelés. Qui sait si ces échanges passionnants ne contribueront pas à délier leur plume.

Ma soirée aussi était à thématique autobiographique quoique remontant plus loin dans le temps puisque j’allais écouter le XII° Livre des Confessions par William Della Rocca. J’ai déjà parlé de l’extraordinaire projet de William qui a monté un spectacle en 13 épisodes (1 par livre, 2 pour le IX° livre plus long), reprenant quasiment l’intégralité du texte des Confessions de Rousseau. J’ai vu plusieurs de ses prestations, spécialement celles reprenant les premiers livres et chaque fois j’ai été saisi d la façon dont on était plongé dans l’ambiance, en ayant l’impression d’avoir vraiment en face de soi Rousseau lui-même. De ma lecture déjà ancienne des Confessions j’avais souvenir d’avoir beaucoup aimé les premiers livres, très vivants, évoquant la jeunesse de Rousseau et ses grands bonheurs auprès de Madame de Warens, moins les derniers qui me semblaient trop encombrés de ses récriminations paranoïaques contre les uns et les autres et donc je craignais un peu pour ce XII° livre. Mais là aussi quelle vivacité de ton, quelle capacité à changer de registre et à introduire des traits d’humour y compris dans les évocations les plus sombres et puis quelle évocation lumineuse du bref séjour à l’île Saint-Pierre, un autre paradis rousseauiste. Mais bien sûr c’est aussi le talent propre de William qui fait ainsi admirablement ressentir, plus qu’à la simple lecture, la mobilité et la vivacité du texte de Rousseau.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire