Ma journée du samedi 1°
décembre a été décidément totalement placée sous le signe de l’autobiographie !
Le matin nous avons tenu le
CA de l’Association pour l’Autobiographie dans laquelle, comme on sait, je m’implique
très activement. L’après-midi l’association organisait à l’ENS rue d’Ulm, une Table
ronde publique autour des textes de notre fonds concernant le Maghreb. Nous
avions publié en 2010 un Cahier sur le sujet, mais depuis nous avons reçu de
nombreux nouveaux textes, certains de ces dépôts sont devenus des livres
publiés et de plus le 50° anniversaire de l’indépendance algérienne incitait à
faire le point. J’allais à cette réunion plus par amitié avec ses animateurs
que par intense intérêt personnel, enfin je me disais que c’était un sujet sur
lequel j’avais déjà beaucoup lu et sur lequel je ne m’attendais pas à apprendre
grand-chose.
Mais j’ai trouvé la séance
vraiment très intéressante de bout en bout, variée dans ses approches, comportant
des témoignages lumineux, certains même bouleversants. Les interventions de
chaque participant étaient précédées de la lecture de courts extraits de leur
texte ce qui rajoutait le suc de la tonalité et du style particulier de chaque
auteur à leurs interventions orales.
Anne-Marie Sirrochi-Fournier
a évoqué son enfance tunisienne dans les années 1950-1960, telle qu’elle l’a
présentée dans son texte « 50 rue Caton, une enfance tunisienne ». C’était
ici la présentation très vivante d’une enfance heureuse dans un milieu
cosmopolite où se mêlaient langues et religions. La discussion avec la salle a
montré combien les expériences de ces enfances maghrébines d’avant les indépendances
pouvaient être différentes, certains insistant plus sur les ressentis
d’ouverture et de tolérance entre communautés, d’autres sur la prévalence
néanmoins de la communauté propre à chacun.
Gérard Kihn, auteur de « Algérie,
le Sang des autres », également déposé à l’APA et publié depuis, engagé
volontaire dans une unité de parachutiste prend progressivement conscience de
la salle guerre dans laquelle il est entrainé, des pratiques de torture qui s’y
déroulent, il quitte l’armée complètement dégoûté en 1959, il reste en Algérie
quelque temps encore travaillant dans l’exploitation pétrolière, désespéré de
constater la spirale de violences gratuites frappant des innocents des deux
camps. C’est un homme profondément et durablement blessé qui est sorti de cette
expérience. Ce témoignage à la fois très dur et très mesuré, très pudique dans
son expression était particulièrement émouvant. Gérard Kihn a également montré
comment l’écriture puis un engagement dans l’association des 4acg (Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre) avaient
contribué à l’aider à sortir du traumatisme.
L’intervenante suivante,
Corinne Chaput-Lebars, lui faisait totalement écho. Elle vient de soutenir une
thèse sur « Les effets de raccommodements produits par l’écriture du
récits de situations extrêmes » qu’elle a appuyé sur l’étude de quatre
récits d’appelés pendant la guerre d’Algérie, complété par des entretiens très
approfondis, l’un étant celui de son propre père et deux autres étant des
textes qu’elle a trouvé à l’APA. C’est le silence qu’avait longtemps gardé son
père, sa difficulté à entreprendre ce travail et les apaisements qu’il en a
tiré qui a donné à C. Chaput-Lebars l’idée de son sujet de thèse. Le concept de
raccommodement qu’elle a développé est une forme particulière de résilience
lorsque l’essentiel du traumatisme du sujet provient d’une violente dégradation
de son estime de soi, ce qui était le cas pour ces appelés ordinaires amenés à
accomplir des actes odieux. Une discussion fort intéressante a suivi, évoquant
les effets familiaux d’un tel travail, dans son propre rapport à son père comme
au sein de sa fratrie.
Enfin le sociologue Malik
Allam a évoqué sa vie entre deux rives. Né en Algérie où il a vécu ses
premières années juste après l’indépendance, il l’a quitté clandestinement avec
ses sœurs et sa mère française après le décès de son père algérien. Il a évoqué
son père et cette enfance dans un pays qu’il ne croyait pas revoir dans un texte personnel
« Ecrire-mourir » déposé à l’APA, qui est aussi journal des
recherches qui ont abouti à son livre « Journaux intimes : une
sociologie de l’écriture personnelle » publié en 1996. Il a évoqué pour
nous le voyage qu’il a finalement effectué de l’autre côté en 2005 avec sa
femme et ses propres enfants, les effets que cela a eu sur lui et l’envie que
cela lui a donné de revenir peut-être à une écriture autobiographique abandonnée
depuis longtemps.
Chez l’ensemble de ces
intervenants il était passionnant de voir comment s’articulaient parcours de
vie, parcours d’écriture et parcours professionnel ou de recherche. Cela
montrait bien aussi comment des premières écritures déposées à l’APA pouvaient
être des déclencheurs parfois de bien autre chose pour les auteurs eux-mêmes ou
pour d’autres qui se penchent sur leur travaux, confirmant ainsi la pertinence
du travail mené par l’Association. D’ailleurs plusieurs personnes ont évoqué au
cours de la discussion des écritures amorcées ou en projet soit sur leur propre
jeunesse au Maghreb, soit sur leurs souvenirs d’appelés. Qui sait si ces échanges
passionnants ne contribueront pas à délier leur plume.
Ma soirée aussi était à thématique
autobiographique quoique remontant plus loin dans le temps puisque j’allais
écouter le XII° Livre des Confessions par William Della Rocca. J’ai déjà parlé de l’extraordinaire projet de William qui a monté un spectacle en 13 épisodes
(1 par livre, 2 pour le IX° livre plus long), reprenant quasiment l’intégralité
du texte des Confessions de Rousseau. J’ai vu plusieurs de ses prestations,
spécialement celles reprenant les premiers livres et chaque fois j’ai été saisi
d la façon dont on était plongé dans l’ambiance, en ayant l’impression d’avoir vraiment
en face de soi Rousseau lui-même. De ma lecture déjà ancienne des Confessions j’avais
souvenir d’avoir beaucoup aimé les premiers livres, très vivants, évoquant la
jeunesse de Rousseau et ses grands bonheurs auprès de Madame de Warens, moins
les derniers qui me semblaient trop encombrés de ses récriminations
paranoïaques contre les uns et les autres et donc je craignais un peu pour ce
XII° livre. Mais là aussi quelle vivacité de ton, quelle capacité à changer de
registre et à introduire des traits d’humour y compris dans les évocations les
plus sombres et puis quelle évocation lumineuse du bref séjour à l’île
Saint-Pierre, un autre paradis rousseauiste. Mais bien sûr c’est aussi le
talent propre de William qui fait ainsi admirablement ressentir, plus qu’à la
simple lecture, la mobilité et la vivacité du texte de Rousseau.
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