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mercredi 5 septembre 2012

Contrastes



On est rentré donc. On s’active à divers chantiers pas plus passionnants les uns que les autres mais qui permettent de commencer à rayer les to do list de la rentrée. On se refait à la ville, à sa fébrilité, à sa promiscuité, à ses odeurs. Il faut en rabattre des grands espaces, de l’air vif, du ciel déployé. Quel contraste ! L’autre jour, c’était vendredi je crois, j’ai pris en pleine gueule la ville dans ce qu’elle a de plus répulsif. J’avais une course banale à faire mais nécessitant que je me rende au centre commercial à côté de chez nous. Oh ce n’est qu’un petit centre de quartier, bien plus modeste que le gigantesque Forum des Halles ou de similaires villes dans la ville. Mais tout de même ! Rentrer là-dedans, s’enfoncer sous les immeubles, perdre la vue du ciel, ne plus sentir le souffle de l’air, avoir le regard perdu de vitrines et d’enseignes racoleuses, zigzaguer entre les gens pressés ou déambulants mais qui en tout cas passent sans se voir, n’échangeant ni regard, ni sourire, ne parlons pas de salut ! J’ai ressenti le choc : les humains ont une drôle de façon de vivre tout de même quand on y pense ! Est-ce que ça peut être la vie ça ! J’ai fait ma course. Je m’étais dit que je profiterai d’être là pour visiter une célèbre grande enseigne culturelle, histoire de jeter un œil aux quatrièmes de couvertures des parutions de la rentrée. Je n’y suis pas resté cinq minutes. Mon impression d’être oppressé s’est encore accentuée devant ces accumulations de livres, de disques, d’écrans, de nouveautés technologiques, devant toutes ces choses qui voudraient me donner envie d’elles, devant ces gens vibrionnants, devant ces queues aux caisses. Je suis prestement remonté à l’air libre.

Bon, je sais, ce n’est qu’une première réaction et, comme tout un chacun, je retraverserai ce genre de lieux sans plus rien leur trouver d’inhumain, j’y vaquerai et peut-être même en y trouvant un certain plaisir. Et ce n’est pas la première fois, mais jamais il me semble ma réaction n’avait été aussi violente, mon envie de fuir aussi impérieuse. Est-ce que cela vient de l’ampleur et la brutalité du contraste avec mon bord de mer si peu de temps avant ? Est-ce la trace persistante laissée en moi par  Dans les forêts de Sibérie , dont je relis certaines pages pour rédiger un article ? Ou bien est-ce une évolution plus profonde de ma part qui signe mon aversion de plus forte à certains modes de consommation et marque que je suis mûr pour quitter la capitale ? Ce qui ne m’empêchera pas d’aimer toujours les grandes villes et même leur frénésie, mais pour y passer, pour les visiter, pas pour y vivre. Et puis, vous me direz, rien n’oblige lorsqu’on est en ville à se rendre dans ce genre de lieux, il y a encore des boutiques en surface et même des vraies librairies avec de vrais libraires dedans !

Mais il me faut dire aussi en contrepoint, un autre moment, un plaisir de la ville celui-là, un bonheur de salle obscure, Holy Motors de Leos Carax.
C’est vraiment un film qui mérite d’être vu. On est bien au-delà du récit, de la belle ou moins belle histoire, gentiment mise en scène et honnêtement réalisée. Il y a ici un souffle, une originalité, une créativité, bref une vraie patte de cinéaste qui nous emmène très loin par la seule magie des images, des échos qu’elles ont entre elles, des résonances qui se créent avec nos propres souvenirs ou notre imaginaire. Je m’étonne vraiment que Cannes n’ait pas trouvé un moyen de le distinguer d’une façon ou d’une autre.
 On peut trouver le film inégal. C’est mon cas. Certaines scènes passent moins bien que d’autres et frôlent l’ennui. J’ai remarqué que c’était surtout le cas des scènes où « ça parle », le dialogue du père et de sa fille, la scène avec le mourant, les retrouvailles avec l’amour perdu (quoique ici ce soit compensé par la déambulation dans la Samaritaine abandonnée et sur sa terrasse avec vue somptueuse sur Paris nocturne et sur un emblématique Pont-Neuf. Mais que de scènes extraordinaires : la scène d’ouverture, la chorégraphie étoilée, la séquence au Père Lachaise puis dans les catacombes, l’entracte musical dans l’église, l’automeurtre, le beau final de la conversation mélancolique des limousines. Carax a dit dans une interview que ce n’était pas un film sur le cinéma, ni sur le métier d’acteurs. Voire ! C’est en tout cas pour moi un film qui draine avec lui toute la magie du cinéma, de ses divers styles et formes, la magie aussi de la multi-incarnation de soi auxquels accèdent les acteurs au travers de leurs divers rôles et que symbolisent les transformations spectaculaires de Denis Lavant auxquels il procède entre ses divers « rendez-vous » dans sa limousine qui d’ailleurs ressemble au fur et à mesure de plus en plus à une loge d’acteur. Et l’on y devine aussi en filigrane la propre histoire de Carax dans son rapport au cinéma. Mais peut-être voulait-il dire dans cette interview que ce dont il parlait allait au-delà même de cette évocation du cinéma et parlait de la vie tout simplement, de la multiplicité des vies potentielles en chacun d’entre nous avec ce que cela peut comporter de richesse mais aussi de douloureuse instabilité et de possible schizophrénie. Ou bien encore voulait-il dire que son film, par delà toute signification, se voulait surgissement de beauté, « pour la beauté du geste » (c’est la réponse de Monsieur Oscar à l’homme à la tâche de vin qui lui demande pourquoi il continue). Et puis ce film est aussi un film sur Paris, sur ses rues et ses quartiers toujours très reconnaissables et qui forcément font écho chez un vieux parisien et ce plaisir là lui aussi vient faire contrepoint en positif à ces ressentis négatifs du retour que j’exprimais en début de billet. 

Pour rester dans les limousines j’ai vu aussi Cosmopolis de Cronenberg. Quelle déception pour le coup. Une métaphore simpliste et lourde de la crise de notre civilisation, un film verbeux et terriblement ennuyeux qu’on regarde de loin et en baillant, qui ne génère jamais d’émotion, sauf peut-être dans la scène chez le coiffeur dans laquelle s’invite un peu d’humain.



2 commentaires:

  1. Effectivement, Carax, c'est l'un des grands films de cette année avec des images fulgurantes. Il est vraiment ridicule que ce film n'ait pas été récompensé.

    Effectivement, aussi, Cronneberg, c'est à périr d'ennui.

    Carmilla

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  2. C'est un plaisir de lire tes chroniques cinématographiques.
    Je conseille, quant à moi, de voir "Mobile home", de François Pirot !

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