On est rentré donc. On
s’active à divers chantiers pas plus passionnants les uns que les autres mais
qui permettent de commencer à rayer les to do list de la rentrée. On se refait
à la ville, à sa fébrilité, à sa promiscuité, à ses odeurs. Il faut en rabattre
des grands espaces, de l’air vif, du ciel déployé. Quel contraste !
L’autre jour, c’était vendredi je crois, j’ai pris en pleine gueule la ville
dans ce qu’elle a de plus répulsif. J’avais une course banale à faire mais
nécessitant que je me rende au centre commercial à côté de chez nous. Oh ce
n’est qu’un petit centre de quartier, bien plus modeste que le gigantesque
Forum des Halles ou de similaires villes dans la ville. Mais tout de
même ! Rentrer là-dedans, s’enfoncer sous les immeubles, perdre la vue du
ciel, ne plus sentir le souffle de l’air, avoir le regard perdu de vitrines et
d’enseignes racoleuses, zigzaguer entre les gens pressés ou déambulants mais
qui en tout cas passent sans se voir, n’échangeant ni regard, ni sourire, ne
parlons pas de salut ! J’ai ressenti le choc : les humains ont une
drôle de façon de vivre tout de même quand on y pense ! Est-ce que ça peut
être la vie ça ! J’ai fait ma course. Je m’étais dit que je profiterai d’être
là pour visiter une célèbre grande enseigne culturelle, histoire de jeter un
œil aux quatrièmes de couvertures des parutions de la rentrée. Je n’y suis pas
resté cinq minutes. Mon impression d’être oppressé s’est encore accentuée devant
ces accumulations de livres, de disques, d’écrans, de nouveautés
technologiques, devant toutes ces choses qui voudraient me donner envie
d’elles, devant ces gens vibrionnants, devant ces queues aux caisses. Je suis
prestement remonté à l’air libre.
Bon, je sais, ce n’est
qu’une première réaction et, comme tout un chacun, je retraverserai ce genre de
lieux sans plus rien leur trouver d’inhumain, j’y vaquerai et peut-être même en
y trouvant un certain plaisir. Et ce n’est pas la première fois, mais jamais il
me semble ma réaction n’avait été aussi violente, mon envie de fuir aussi
impérieuse. Est-ce que cela vient de l’ampleur et la brutalité du contraste
avec mon bord de mer si peu de temps avant ? Est-ce la trace persistante
laissée en moi par Dans les forêts de Sibérie , dont je relis
certaines pages pour rédiger un article ? Ou bien est-ce une évolution
plus profonde de ma part qui signe mon aversion de plus forte à certains modes
de consommation et marque que je suis mûr pour quitter la capitale ? Ce
qui ne m’empêchera pas d’aimer toujours les grandes villes et même leur
frénésie, mais pour y passer, pour les visiter, pas pour y vivre. Et puis, vous
me direz, rien n’oblige lorsqu’on est en ville à se rendre dans ce genre de
lieux, il y a encore des boutiques en surface et même des vraies librairies avec
de vrais libraires dedans !
Mais il me faut dire aussi
en contrepoint, un autre moment, un plaisir de la ville celui-là, un bonheur de
salle obscure, Holy Motors de Leos Carax.
C’est vraiment un film qui
mérite d’être vu. On est bien au-delà du récit, de la belle ou moins belle
histoire, gentiment mise en scène et honnêtement réalisée. Il y a ici un
souffle, une originalité, une créativité, bref une vraie patte de cinéaste qui
nous emmène très loin par la seule magie des images, des échos qu’elles ont entre
elles, des résonances qui se créent avec nos propres souvenirs ou notre
imaginaire. Je m’étonne vraiment que Cannes n’ait pas trouvé un moyen de le
distinguer d’une façon ou d’une autre.
On peut trouver le film inégal. C’est mon cas.
Certaines scènes passent moins bien que d’autres et frôlent l’ennui. J’ai
remarqué que c’était surtout le cas des scènes où « ça parle », le
dialogue du père et de sa fille, la scène avec le mourant, les retrouvailles
avec l’amour perdu (quoique ici ce soit compensé par la déambulation dans la
Samaritaine abandonnée et sur sa terrasse avec vue somptueuse sur Paris
nocturne et sur un emblématique Pont-Neuf. Mais que de scènes
extraordinaires : la scène d’ouverture, la chorégraphie étoilée, la
séquence au Père Lachaise puis dans les catacombes, l’entracte musical dans
l’église, l’automeurtre, le beau final de la conversation mélancolique des
limousines. Carax a dit dans une interview que ce n’était pas un film sur le
cinéma, ni sur le métier d’acteurs. Voire ! C’est en tout cas pour moi un
film qui draine avec lui toute la magie du cinéma, de ses divers styles et
formes, la magie aussi de la multi-incarnation de soi auxquels accèdent les
acteurs au travers de leurs divers rôles et que symbolisent les transformations
spectaculaires de Denis Lavant auxquels il procède entre ses divers « rendez-vous »
dans sa limousine qui d’ailleurs ressemble au fur et à mesure de plus en plus à
une loge d’acteur. Et l’on y devine aussi en filigrane la propre histoire de Carax
dans son rapport au cinéma. Mais peut-être voulait-il dire dans cette interview
que ce dont il parlait allait au-delà même de cette évocation du cinéma et
parlait de la vie tout simplement, de la multiplicité des vies potentielles en
chacun d’entre nous avec ce que cela peut comporter de richesse mais aussi de
douloureuse instabilité et de possible schizophrénie. Ou bien encore voulait-il
dire que son film, par delà toute signification, se voulait surgissement de
beauté, « pour la beauté du geste » (c’est la réponse de Monsieur
Oscar à l’homme à la tâche de vin qui lui demande pourquoi il continue). Et
puis ce film est aussi un film sur Paris, sur ses rues et ses quartiers
toujours très reconnaissables et qui forcément font écho chez un vieux parisien
et ce plaisir là lui aussi vient faire contrepoint en positif à ces ressentis
négatifs du retour que j’exprimais en début de billet.
Pour rester dans les
limousines j’ai vu aussi Cosmopolis de Cronenberg. Quelle déception pour le
coup. Une métaphore simpliste et lourde de la crise de notre civilisation, un
film verbeux et terriblement ennuyeux qu’on regarde de loin et en baillant, qui
ne génère jamais d’émotion, sauf peut-être dans la scène chez le coiffeur dans
laquelle s’invite un peu d’humain.
Effectivement, Carax, c'est l'un des grands films de cette année avec des images fulgurantes. Il est vraiment ridicule que ce film n'ait pas été récompensé.
RépondreSupprimerEffectivement, aussi, Cronneberg, c'est à périr d'ennui.
Carmilla
C'est un plaisir de lire tes chroniques cinématographiques.
RépondreSupprimerJe conseille, quant à moi, de voir "Mobile home", de François Pirot !