On commence à s’engager
sérieusement dans les tris de notre appartement dans la perspective de notre
déménagement. Avant hier et hier, grande opération dans la cave et puis, à
petites doses pour le moment, dans les rayonnages de la bibliothèque. Que
jette-on, que donne-ton, que garde-t-on ici et qu’emportons-nous là-bas ?
Ce n’est pas « comment j’ai vidé la maison de mes parents » mais
n’empêche, tout ça, c’est quand même rien moins qu’anodin.
Nous avons une ressourcerie
à proximité de la maison, c’est une entreprise d’insertion qui récupère beaucoup
de choses et les remet en vente à bas prix. Il m’est agréable de penser que les
objets et livres dont on se débarrasse vont aller là et pourront resservir,
plutôt que de partir à la poubelle. Sauf pour quelques éléments de valeur, je
préfère ça que tenter de vendre pour trois sous sur internet ou dans des vides
greniers.
Le tri des livres est pour
moi le plus laborieux. Il faut alléger absolument. S’agissant de livres
courants, sans intérêt en tant qu’objet, on sait bien désormais que si par
hasard on a vraiment besoin du contenu, on le retrouvera sans peine sur
internet ou en bibliothèque. Mais quelle difficulté à se détacher !
Combien de fois j’ai mis un livre sur la pile à donner et puis, dix minutes
après, je me suis dit : non quand même j’ai envie de le garder. Juste pour
la présence. Pour le signe qu’il me fait même si je ne les relis pas. En
souvenir aussi de moments qui ont toujours été pour moi de vifs plaisirs :
explorer une bibliothèque, tomber sur de vieux livres par forcément
intéressants, pas forcément à lire, mais plaisants à humer, à feuilleter, à
parcourir, irruptions d’un autre temps dans le notre. Ainsi ai-je fait dans les
bibliothèques de mes grands-parents, dans celles des grands-parents de D.
surtout qui étaient plus fournies et plus anciennes. Et je ne peux m’empêcher
de penser que ma propre bibliothèque pourrait, qui sait, et même si les temps
et les usages changent, donner des plaisirs de cet ordre à mes enfants, à de
futurss petits enfants… Bref inutile de dire que, de la sorte, les choses ne
vont pas très vite !
Sans parler des cas ou après
avoir feuilleté je me mets à relire ! Je suis tombé par exemple sur Les samouraïs de Kristeva, un gros
volume, bien encombrant, de l’édition d’origine chez Flammarion. A priori je
l’avais fléché pour donner. Et puis quand même…. Allez, quelques pages… Puis
quelques autres… Et finalement relecture totale, certes un peu diagonale !
Ce n’est pas génial du point de vue littéraire mais c’est toute une époque
évidemment. A priori je n’aime pas trop les romans à clés où se mêlent description
d’une réalité dont on sait qu’elle est en partie déformée et invention
romanesque. Un peu agaçant aussi, avec la distance temporelle, toutes ces
affaires de cœur et de cul des gourous intellectuels germanopratins des années
60. Mais en même temps on ne peut s’empêcher de se laisser aller à une certaine
curiosité people et à un certain amusement dans le décodage. J’ai retrouvé le
papier que j’avais glissé lors de ma lecture de l’époque entre les pages avec
les correspondances entre noms dans le récit et personnes réelles. Internet
aidant je me suis amusé à aller vérifier. C’était facile et, à quelques
exceptions près, tout était juste. Sauf Edelmann qui était Lucien Goldmann, le
structuraliste littéraire, ça je n’avais pas trouvé à l’époque, j’avais laissé
avec un point d’interrogation, et Benserade, qui était Emile Benveniste, je
m’étais trompé, j’avais noté Dumézil. Mais tous ces gens qui nous disent encore
quelque chose, non seulement en terme de positionnement philosophique, mais
aussi en terme de présence dans l’actualité culturelle de l’époque, qui nous
rappellent des débats passionnés et enfumés, seront-ils pour nos enfants autre
chose que des froides notices dans des dictionnaires (enfin, sur wikipédia !) ?
Du coup j’ai aussi remis le
nez dans Femmes de Sollers. Là je
n’ai pas relu, juste feuilleté, humé quelques paragraphes. Je me souviens que
j’avais tenté une relecture, il y a un an ou deux, au moment où j’écrivais un
article sur Un vrai roman, Mémoires (un
très bon livre pour le coup). Même jeu du roman à clef. Mais là franchement
désagréable, très daté, ça m’était vite tombé des mains, les provocations misogynes
y sont par trop déplaisantes (même si l’on sait que, précisément, ce sont des
provocations dont s’amuse ce vieux renard de Sollers).
Et même j’ai farfouillé pour
retrouver les Mandarins de Simone de
Beauvoir, histoire de comparer, un bouquin dans le même genre, mais évoquant
une période où je n’étais pas né. Il n’y est plus. Prêté, donné, perdu ?
Je ne sais pas, mais quelle importance ?
Allez, je clos là cette
drôle de déambulation littéraire ! Et je les donne ces bouquins, je les
donne nom de nom !
Pour l’heure je suis par
ailleurs en plein montage du prochain numéro de la revue La Faute à Rousseau, mon nouveau petit boulot. Et en plus je pars
demain très tôt pour un week-end prolongé, dont je vous parlerai peut-être… Alors,
les livres, ça suffit, pour le moment laissez-moi vous laisser !
C'est curieux, ce billet me fait penser à une lettre. Sans doute par sa forme, puisque tu t'adresses à "nous"...
RépondreSupprimerCela me rappelle la tonalité intimiste qu'avaient les écrits en ligne avant que n'apparaisse la possibilité de laisser des "commentaires".
Benvéniste et Bensérade... L'un me fait penser aux sombres couloirs, aux couloirs jaunes de l'ULB, en novembre 1976, l'autre à de la poésie ... ... ... (Et maintenant, je vais aller vérifier pour Bensérade, pas pour Benvéniste, ni pour le structuralisme o;)
RépondreSupprimer(Piv !)
Kristeva, ses romans sont catastrophiques (à l'exception, en effet, des "Samouraïs" qui se laisse lire). Trop empêtrée dans son érudition, son savoir universitaire, sa littérature appartient déjà à un passé bien révolu.
RépondreSupprimerEn revanche, "Femmes" de Sollers m'apparaît au contraire très actuel et demeure salubre et subversif à notre époque de cuculteries féministes. Il faut oser aujourd'hui, alors qu'on nie toutes les différences, parler de l'affrontement et des rapports de pouvoir entre les sexes.
Carmilla