J’ai lu presque d’une traite
le nouveau roman d’Hélène Gestern, La
part du feu. Je me suis régalé car c’est un roman bien conduit, une sorte
de thriller, de cette catégorie particulière que l’on pourrait appeler les
thrillers du secret de famille. Sans désemparer, le récit nous mène de
découvertes en rebondissements, relançant sans cesse l’intérêt, vers une
improbable vérité.
Il y a dans ce livre pas mal
de points communs avec le précédent roman d’Hélène Gestern, Eux sur la photo qui m’avait également
beaucoup plu. Il s’agissait là encore
d’une enquête sur un secret de famille, les techniques narratives sont proches,
faisant alterner les points de vue de divers protagonistes, appuyant l’enquête
sur l’exhumation progressive de documents divers retrouvés, photos, lettres,
coupures de presse. Dans chacun des livres cependant il y a une enquêtrice plus
centrale, Hélène dans le premier roman, Laurence dans celui-ci, initiatrice de
la quête, jeune femme quarantenaire qui pourrait bien avoir quelques traits
communs avec l’auteure.
Laurence enquête sur ses
propres parents, sur un blanc de leur histoire dans les années 70, et sur un
personnage surtout, un certain Guillermo Zorgen, militant d’extrême gauche du
début des années 1970, animateur d’une petite structure autonome, qui croit
pouvoir détruire le capitalisme par l’action violente, notamment en déclenchant
des incendies purificateurs, frappant les lieux de pouvoir économiques et
financiers comme les personnes qui le représente. Le personnage comme
l’organisation qu’il anime sont fictifs. Toutefois, il est comme un autre Pierre
Goldman, ce révolté d’extrême-gauche, hors tout groupe partisan, ayant
participé à des guérillas au Venezuela, braqueur et flambeur, accusé en 1975 du
meurtre des pharmaciennes du Boulevard Richard Lenoir, condamné puis acquitté
pour ce meurtre après des procès retentissants, auteur en prison d’un livre
magnifique « Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France »,
assassiné en 1979 par un groupuscule d’extrême droite. L’origine et l’histoire
de Zorgen ne sont pas tout à fait celles de Goldman quoique certains évènements
les rapprochent (leur procès pour meurtre, leur condamnation et leur temps
d’emprisonnement qui seront temps d’écriture, leur acquittement, leur
assassinat). Mais en tout cas, la révolte, la sincérité foncière et la
« vivante colère », le sentiment tragique de la vie, un désir
révolutionnaire dont l’enjeu principal était de « tutoyer la mort, la
frôler d’aussi près que possible, dans l’espoir de la rencontrer », cela
Zorgen et Goldman assurément le partagent. C’est donc à la vérité psychologique
de Goldman que renvoie le portrait affiné et riche de multiples aspects
contradictoires de Zorgen. Ce roman est aussi d’une certaine façon un document
sur une période historique, même s’il ne se veut nullement documentaire et il
me semble qu’il atteint à une grande vérité même si ce qu’il raconte est
inventé. Sans le vouloir sans doute, il apparaît, pour moi en tout cas, comme une
forme de contrepoint à un « roman » assez déplaisant (Patria o muerte
de Dominique Perrut) qui évoquait la même période et que j’avais chroniqué
ailleurs en son temps.
Il se trouve que je connais Hélène
Gestern qui est aussi membre du comité de rédaction de notre revue La Faute à Rousseau et l’une de nos plus actives collaboratrices. Cela bien sûr accentue
l’intérêt car évidemment je m’interroge d’autant plus sur d’où lui est venue
l’idée de ce roman, sur ce qui l’a amené à se pencher avec tant de précision et
d’empathie sur cette période qu’elle est trop jeune pour avoir connue
directement et, plus spécifiquement, sur la figure et l’affaire Goldman.
Ce livre en tout cas,
au-delà du plaisir qu’il m’a donné et que chacun pourra partager parce que
c’est d’abord une histoire bien construite, bien menée et bien écrite, m’a
personnellement touché parce qu’il me renvoie à des moments que j’ai connus,
les soubresauts de l’après mai 68 dans les cercles militants gauchistes, les
délitements intimes qui ont traversé bien des militants dans ces années là. Les
cercles que j’ai fréquentés étaient loin des flamboiements de l’activisme, plus
dans les rationalisations bavardes que dans les révoltes brutes, il en est
sorti bien des gens de nos actuelles « élites » politico-médiatiques,
mais cela n’a pas empêché pour d’autres les dépressions, les affaissements
durables, les suicides, certains d’entre eux qui ont été très proches de moi.
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