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vendredi 22 février 2013

Dans le train



Au cours de cette semaine, j’ai effectué un voyage de deux jours pour aller à la Grenette à Ambérieu au siège de notre association. Ce qui m’a conduit à faire deux assez longs trajets en train, avec, dans chaque sens, deux changements.
J’aime assez le train. C’est un cocon propice à la lecture, à la rêverie, voire à l’envol de l’imagination, lorsque, parfois, certaines présences autour de soi titillent.

A l’aller, dans le TGV, un rang devant moi, se trouvent trois personnes qui, d’emblée, m’intriguent. J’ai mon bouquin mais je m’en échappe par moments pour laisser traîner mon regard et mes oreilles, pour essayer de deviner un peu de ces personnes dont les attitudes, les mots envoient des signes contradictoires, dissonants.
Un couple en fin de soixantaine, une autre femme plus jeune, disons la quarantaine avancée (en fait la fille du couple comme je l’ai perçu plus tard). Les deux femmes sont sans élégance, elles ont quelquechose de vulgaire dans leurs attitudes, avec leurs coiffures démodées, leurs maquillages trop soulignés. L’homme est habillé plus sobrement, en polo et veste, tête altière, corps très droit, mains épaisses, costaudes, poilues, avec deux doigts manquant à la main gauche. Leurs conversations ne me parviennent que par bribe, elles sont changeantes dans les tonalités comme dans les contenus et les registres de langue, mais elles évoquent notamment le voyage entrepris, une sorte de tournée, avec des gens à voir dans différents lieux, des rencontres, des réunions. La femme la plus jeune lit un roman de la collection Arlequin quand elle ne participe pas à la conversation, parfois l’homme lui passe un cahier, elle note des choses qu’il regarde ensuite, il a l’air de la corriger comme un prof. L’homme est souvent appelé au téléphone, voix posée, expression claire, ton de commandement, d’autorité, il finit de mettre au point le voyage en cours, il fait réserver des chambres par la personne qui va l’accueillir, évoque des conventions à passer, des projets culturels à monter, d’autres rencontres passées ou à venir, il a un emploi du temps quasi ministériel, totalement décalé avec son apparence et le style de celles qui l’accompagnent. J’ai beau faire je ne parviens absolument pas à saisir de quoi il s’occupe.
Des hypothèses passent dans ma tête, aucune ne tient. Je me dis qu’il faudrait se pousser à imaginer et commence à voir derrière ces personnages l’amorce d’une histoire, une possible nouvelle dont je sais bien que je ne l’écrirai pourtant pas.

Au retour ça a été une autre chanson. Après un douillet trajet de TGV, en première, entourée de gens très « comme il faut », j’ai achevé mon parcours, après une halte assez longue dans la gare de Narbonne sinistre et déserte, dans un train de nuit en places assises, venant de Cerbère et allant jusqu’à Paris, voyageurs hétéroclites, un type fortement aviné et très agité, allant et venant dans le wagon, suivi de son chien, un jeune touriste allemand braillard et sans doute légèrement défoncé, une petite famille anglaise, Madame, Monsieur et leurs deux demoiselles, un type voulant dormir et gueulant lui-même contre les bruyants avant de partir dans un autre wagon, quelques personnes comme moi en transit sur ce train pour rallier de petites gares dans lesquelles le TGV ne s’arrêtait pas, un contrôleur passant de temps à autre et tentant, d’ailleurs avec assez d’efficacité, de calmer les troupes, bref un joli patchwork d’humanité, qui, là aussi, aurait pu donner envie d’en faire des croquis et de les mettre en histoires.

vendredi 15 février 2013

La part du feu



J’ai lu presque d’une traite le nouveau roman d’Hélène Gestern, La part du feu. Je me suis régalé car c’est un roman bien conduit, une sorte de thriller, de cette catégorie particulière que l’on pourrait appeler les thrillers du secret de famille. Sans désemparer, le récit nous mène de découvertes en rebondissements, relançant sans cesse l’intérêt, vers une improbable vérité.
Il y a dans ce livre pas mal de points communs avec le précédent roman d’Hélène Gestern, Eux sur la photo qui m’avait également beaucoup plu. Il s’agissait là encore d’une enquête sur un secret de famille, les techniques narratives sont proches, faisant alterner les points de vue de divers protagonistes, appuyant l’enquête sur l’exhumation progressive de documents divers retrouvés, photos, lettres, coupures de presse. Dans chacun des livres cependant il y a une enquêtrice plus centrale, Hélène dans le premier roman, Laurence dans celui-ci, initiatrice de la quête, jeune femme quarantenaire qui pourrait bien avoir quelques traits communs avec l’auteure.
Laurence enquête sur ses propres parents, sur un blanc de leur histoire dans les années 70, et sur un personnage surtout, un certain Guillermo Zorgen, militant d’extrême gauche du début des années 1970, animateur d’une petite structure autonome, qui croit pouvoir détruire le capitalisme par l’action violente, notamment en déclenchant des incendies purificateurs, frappant les lieux de pouvoir économiques et financiers comme les personnes qui le représente. Le personnage comme l’organisation qu’il anime sont fictifs. Toutefois, il est comme un autre Pierre Goldman, ce révolté d’extrême-gauche, hors tout groupe partisan, ayant participé à des guérillas au Venezuela, braqueur et flambeur, accusé en 1975 du meurtre des pharmaciennes du Boulevard Richard Lenoir, condamné puis acquitté pour ce meurtre après des procès retentissants, auteur en prison d’un livre magnifique « Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France », assassiné en 1979 par un groupuscule d’extrême droite. L’origine et l’histoire de Zorgen ne sont pas tout à fait celles de Goldman quoique certains évènements les rapprochent (leur procès pour meurtre, leur condamnation et leur temps d’emprisonnement qui seront temps d’écriture, leur acquittement, leur assassinat). Mais en tout cas, la révolte, la sincérité foncière et la « vivante colère », le sentiment tragique de la vie, un désir révolutionnaire dont l’enjeu principal était de « tutoyer la mort, la frôler d’aussi près que possible, dans l’espoir de la rencontrer », cela Zorgen et Goldman assurément le partagent. C’est donc à la vérité psychologique de Goldman que renvoie le portrait affiné et riche de multiples aspects contradictoires de Zorgen. Ce roman est aussi d’une certaine façon un document sur une période historique, même s’il ne se veut nullement documentaire et il me semble qu’il atteint à une grande vérité même si ce qu’il raconte est inventé. Sans le vouloir sans doute, il apparaît, pour moi en tout cas, comme une forme de contrepoint à un « roman » assez déplaisant (Patria o muerte de Dominique Perrut) qui évoquait la même période et que j’avais chroniqué ailleurs en son temps.
Il se trouve que je connais Hélène Gestern qui est aussi membre du comité de rédaction de notre revue La Faute à Rousseau et l’une de nos plus actives collaboratrices. Cela bien sûr accentue l’intérêt car évidemment je m’interroge d’autant plus sur d’où lui est venue l’idée de ce roman, sur ce qui l’a amené à se pencher avec tant de précision et d’empathie sur cette période qu’elle est trop jeune pour avoir connue directement et, plus spécifiquement, sur la figure et l’affaire Goldman.
Ce livre en tout cas, au-delà du plaisir qu’il m’a donné et que chacun pourra partager parce que c’est d’abord une histoire bien construite, bien menée et bien écrite, m’a personnellement touché parce qu’il me renvoie à des moments que j’ai connus, les soubresauts de l’après mai 68 dans les cercles militants gauchistes, les délitements intimes qui ont traversé bien des militants dans ces années là. Les cercles que j’ai fréquentés étaient loin des flamboiements de l’activisme, plus dans les rationalisations bavardes que dans les révoltes brutes, il en est sorti bien des gens de nos actuelles « élites » politico-médiatiques, mais cela n’a pas empêché pour d’autres les dépressions, les affaissements durables, les suicides, certains d’entre eux qui ont été très proches de moi.

jeudi 7 février 2013

Froidure



Temps glaçant, un temps à rester à cocooner à la maison, voire sous la couette avec un bon livre. Plus sec pourtant aujourd'hui, premier jour sans pluie depuis le début de la semaine. Mais ciel très chargé, plombé même d’un côté du ciel comme si allait venir de la neige. C’est le vent assez violent de nord-ouest qui donne cette impression de froid car le thermomètre, quant à lui, est tout ce qu’il y a de raisonnable.
La maison n’est pas très facile à chauffer, il fait bon, côté chambres exposées à l’est mais les pièces donnant sur la place plein ouest sont bien refroidies par la bise. La maison a beau avoir été rénovée, toutes les fenêtres n’ont pas été changées et certaines, bien vieillottes, ne sont pas bien isolées. Les gros pulls ne sont pas un luxe en activité immobile, genre lecture ou écriture et malgré cela on a tendance à se refroidir quand on ne bouge pas. Mais j’apprécie aussi d’une certaine façon cette (toute relative) rusticité, je préfère cela aux cocons surchauffés des immeubles collectifs. Même à l’intérieur de la maison nous ne perdons pas le sens des saisons et des météores. 

J’ai beaucoup avancé du coup ma relecture d’Anna Karénine. La façon de décrire la passion y est admirable, il y a le plaisir du dépaysement avec la plongée dans la vie russe du 19° mais je ne suis quand même pas sûr d’aller au bout, je m’en suis bien imprégné, peut-être que cela me suffit, car il y a aussi des longueurs, des passages un peu moralisateurs dont je n’avais pas gardé le souvenir. Je continue parallèlement d’avancer dans la lecture de l’imposant journal d’Henri-Jacques Dupuy, en prenant des notes puisque je dois le présenter en public cet automne. Et j’ai aussi aujourd'hui quasiment terminé la retranscription du journal d’un cheminot du dépôt de Sète, racontant la grève de mai 1968, telle qu’il l’a vécue et animée et dont nous allons publier des extraits dans un Cahier de l’APA à paraître. Mais je ne m’ennuie pas de ces activités casanières.

Le cinéma local a rouvert après un mois de fermeture pour rénovation. C’est un bon signe, ça, un signe que la mairie investit, que cette relance va perdurer (pendant plusieurs années il n’y avait plus du tout de cinéma ici, entre la fermeture de l’ancienne salle privée et cette reprise municipale). Nous y avons vu Renoir et Alceste à bicyclette, deux films qui sans être de « grands » films, sont tout à fait regardables et plaisants. Je trouve que la critique a été bien sévère (Le Monde, Télérama, le Masque) spécialement pour Alceste qui s’est largement fait dézinguer par les élites cinéphiliques, moi j’ai trouvé ça bien conduit, bien rythmé, souvent drôle et pas si niais. Et même si son cabotinage parfois agace, il faut bien reconnaître que Luchini est un formidable acteur. En perspective ce week-end, Héritage d’Hiam Habbas et The Master d’Anderson. Il y a Django unchained aussi, mais contrairement à l’habitude de ce cinéma, ce film là est donné en VF. Est-ce par volonté de ratisser plus large ? (il y a une dizaine de séances pour ce film, contre 3 ou 4 pour la plupart des autres). Je n’irai pas. Je déteste les films doublés. Je sais, ça fait peut-être un peu maniaquerie « d’élite cinéphilique » justement, mais je me refuse à voir les films autrement qu’en VO. J’hésitais un peu à transgresser mes principes mais voir la bande annonce m’a conforté, il n’y a pas de doute beaucoup se perd de l’ambiance d’un film et de la présence de ses acteurs lorsqu’on les prive de leur voix et de leur langue.

lundi 4 février 2013

Pluie et soleil



L’hiver continue. Je ne sais trop pourquoi mais plus encore qu’à Paris je suis ici très météo-sensible. Peut-être parce que qu’ici plus que là-bas, nos journées sont différentes selon l’alternance des ciels. Nous sortons chaque jour, certes, qu’il vente ou pleuve mais, par mauvais temps, ce ne sont que brèves sorties, juste un tour pour prendre l’air, une course en restant en ville ou quelques pas au bord de la Rigole. Dès qu’il fait un temps acceptable, ciel plus clair, promesse d’éclaircie, voire quelquefois grand soleil doux entre les nuages, nous enfourchons en début d’après-midi nos vélos ou partons en voiture à quelques kilomètres pour ensuite nous promener dans des petits chemins de campagne que nous connaissions déjà ou que nous découvrons.
C’est plaisir de voir certains lieux dans une ambiance très différente de celle que nous connaissions. A de mêmes endroits les vues sont plus larges entre les arbres sans feuille, le vert est partout dans la campagne, loin des teintes jaunies de l’été, l’eau est partout, après tous ces épisodes pluvieux intenses, elle caracole dans les fossés le long des petites routes comme dans tous les ruisseaux sur les pentes de la montagne, voire au milieu des chemins. Cette eau est promesse et l’on se garde bien de maudire la pluie quand elle tombe même si elle nous oblige à des activités plus casanières.
Les contrastes de température sont frappants. Les jours où le soleil s’est montré ce n’était pas pour accompagner des froids secs mais une douceur spectaculaire, presque trop en ce cœur d’hiver. Mais quel bonheur aussi. Ainsi mardi lorsque nous sommes montés sur le causse, j’ai enlevé le pull-over, puis même ma parka, j’ai marché en chemise, me découvrir, pouvoir sentir l’air doux proche de ma peau est toujours un intense plaisir.

Après ces sorties nos soirées sont assez télévisuelles. Non tant sur les programmes en cours qu’en visionnant des dvd que nous avions parfois depuis longtemps. Ainsi ces jours-ci regardons-nous chaque soir un de ces grands entretiens que Pivot effectuait lors de numéros spéciaux d’Apostrophes, lorsqu’il recevait ou plutôt allait voir un écrivain unique, occupant toute l’émission à lui seul. C’est amusant d’un jour à l’autre de sauter de Dolto à Dumézil, de Duras à Yourcenar, de Guilloux à Jouhandeau. Quels contrastes ! On aime ou apprécie plus ou moins l’œuvre ou la personne mais ce sont de bons moments de télévision et qui restituent un peu quelque chose de ces sacrées personnalités, dans leurs abyssales différences. Et les commentaires de quelques minutes que Pivot a rajouté à posteriori à chacun de ces entretiens, en 2004, lorsque la série a été republiée, éclairant les conditions de la rencontre, évoquant ce que la distance du temps a ajouté à se perception d’alors, sont fort intéressants.

Samedi de l’autre semaine, j’ai comme prévu, effectué ma première virée dans la grande ville. Mais là c’était sous une pluie dense et insistante. Ma promenade matinale dans les rues toulousaines s’est transformée en stations dans les églises, Notre Dame du Taur dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds (il y a un certain charme dans ces églises non refaites, vieillottes, décaties, conservant leurs peintures murales du 19°) et Saint-Sernin (superbe et que j’ai revisité assez longuement, tombant même par hasard sur un type qui proposait à ceux qui voulaient un tour dans les tribunes habituellement fermées au public). Ensuite j’ai eu le plaisir de retrouver sous son parapluie, mon amie Samantdi, puis d’aller agréablement déjeuner avec elle, façon de renouer un peu avec ma blogosphère d’avant. L’après-midi j’ai participé à ma première réunion avec le groupe des apaïstes toulousains, afin de m’intégrer un tant soit peu au colloque que l’APA locale prépare pour l’automne.

Bref, je continue, de semaine en semaine, à prendre mes marques provinciales.