Au cours de cette semaine,
j’ai effectué un voyage de deux jours pour aller à la Grenette à Ambérieu au
siège de notre association. Ce qui m’a conduit à faire deux assez longs trajets
en train, avec, dans chaque sens, deux changements.
J’aime assez le train. C’est
un cocon propice à la lecture, à la rêverie, voire à l’envol de l’imagination,
lorsque, parfois, certaines présences autour de soi titillent.
A l’aller, dans le TGV, un
rang devant moi, se trouvent trois personnes qui, d’emblée, m’intriguent. J’ai mon
bouquin mais je m’en échappe par moments pour laisser traîner mon regard et mes
oreilles, pour essayer de deviner un peu de ces personnes dont les attitudes,
les mots envoient des signes contradictoires, dissonants.
Un couple en fin de soixantaine,
une autre femme plus jeune, disons la quarantaine avancée (en fait la fille du
couple comme je l’ai perçu plus tard). Les deux femmes sont sans élégance, elles
ont quelquechose de vulgaire dans leurs attitudes, avec leurs coiffures démodées,
leurs maquillages trop soulignés. L’homme est habillé plus sobrement, en polo
et veste, tête altière, corps très droit, mains épaisses, costaudes, poilues, avec
deux doigts manquant à la main gauche. Leurs conversations ne me parviennent
que par bribe, elles sont changeantes dans les tonalités comme dans les
contenus et les registres de langue, mais elles évoquent notamment le voyage
entrepris, une sorte de tournée, avec des gens à voir dans différents lieux,
des rencontres, des réunions. La femme la plus jeune lit un roman de la
collection Arlequin quand elle ne participe pas à la conversation, parfois
l’homme lui passe un cahier, elle note des choses qu’il regarde ensuite, il a
l’air de la corriger comme un prof. L’homme est souvent appelé au téléphone,
voix posée, expression claire, ton de commandement, d’autorité, il finit de
mettre au point le voyage en cours, il fait réserver des chambres par la
personne qui va l’accueillir, évoque des conventions à passer, des projets
culturels à monter, d’autres rencontres passées ou à venir, il a un emploi du
temps quasi ministériel, totalement décalé avec son apparence et le style de
celles qui l’accompagnent. J’ai beau faire je ne parviens absolument pas à
saisir de quoi il s’occupe.
Des hypothèses passent dans
ma tête, aucune ne tient. Je me dis qu’il faudrait se pousser à imaginer et commence
à voir derrière ces personnages l’amorce d’une histoire, une possible nouvelle
dont je sais bien que je ne l’écrirai pourtant pas.
Au retour ça a été une autre
chanson. Après un douillet trajet de TGV, en première, entourée de gens très « comme
il faut », j’ai achevé mon parcours, après une halte assez longue dans la
gare de Narbonne sinistre et déserte, dans un train de nuit en places assises,
venant de Cerbère et allant jusqu’à Paris, voyageurs hétéroclites, un type
fortement aviné et très agité, allant et venant dans le wagon, suivi de son
chien, un jeune touriste allemand braillard et sans doute légèrement défoncé,
une petite famille anglaise, Madame, Monsieur et leurs deux demoiselles, un
type voulant dormir et gueulant lui-même contre les bruyants avant de partir
dans un autre wagon, quelques personnes comme moi en transit sur ce train pour
rallier de petites gares dans lesquelles le TGV ne s’arrêtait pas, un
contrôleur passant de temps à autre et tentant, d’ailleurs avec assez
d’efficacité, de calmer les troupes, bref un joli patchwork d’humanité, qui, là
aussi, aurait pu donner envie d’en faire des croquis et de les mettre en
histoires.