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mercredi 14 novembre 2012

Les tensions de la transition



Nous avons voyagé avant-hier et sommes donc arrivés dans notre maison. Nous achevons aujourd'hui, par quelques jeux supplémentaires de chaises musicales, de faire de la place aux endroits stratégiques pour pouvoir accueillir demain les contenus du camion de déménagement venu de Paris.
Cette transition n’a rien à voir avec un déménagement radical, lorsqu’on quitte un lieu pour ne plus y revenir. L’émotion alors de la porte refermée sur la maison entièrement vidée est plus violente. Et pourtant même avec cette transition douce les choses n’ont pas été si faciles et je n’ai pas très bien vécu, à mon grand regret, ma « dernière » journée parisienne, signe qu’il y a tout de même à l’œuvre dans notre décision de départ des éléments et ressentis contradictoires, certains négatifs, même si le positif l’emporte largement.
J’avais envisagé lors de cette dernière journée, tous nos travaux préparatoires étant terminés, outre une invitation à déjeuner de mon père et de ma belle mère, diverses activités, un plongeon dans une piscine pour activer et délasser le corps qui en a besoin, une sortie cinéma, je voulais voir « Augustine », film que j’aurai sinon peu de chance de voir dans l’immédiat. La journée s’est mal emmanchée à cause de divers retards et micro-contrariétés sur lesquels je passe et d’un manque de réactivité de ma part, bref au final je n’ai rien fait de tout ça. En soi et à distance, cela n’a vraiment pas d’importance. Mais la mauvaise humeur intense et persistante qui en a résulté, elle, était vraiment débile. Elle a donné à toute cette journée, que j’escomptais légère et plaisante, une tonalité d’ensemble plus que grise. Elle est signe sûrement de tensions et d’inquiétudes sous-jacentes que je me masque. Je me dis en particulier que l’agacement disproportionné que j’ai ressenti d’avoir raté la séance du film que je voulais voir montre une certaine résistance, quoique j’en dise, à m’éloigner de l’offre culturelle pléthorique de la capitale et de sa consommation facile.
Ma première nuit ici a été agitée. Je me suis réveillé à plusieurs reprises, traversé de lambeaux d’angoisses. Je dis lambeaux car ça ne ressemblait pas à une véritable angoisse, qui serre la poitrine et envahit tout, c’était un mal-être plus diffus et plus mobile, des inquiétudes sans objets repérés, allant et venant dans mon espace mental et se mêlant, entre veille et sommeil, à des rêves pénibles. Au dernier réveil, vers six et heures et demi, je me suis secoué et me suis levé. J’ai transcrit le rêve dans lequel la maison dans laquelle je venais d’arriver tenait une place considérable. Je suis content en tout cas d’avoir pu transcrire le rêve avant qu’il ne s’échappe. Qu’au moins, si les fantômes nocturnes me visitent désagréablement, j’en garde trace, une fois sorti de leur nasse, pour m’amuser de leur toujours surprenante inventivité.

Nous arrivons dans notre maison, avec la voiture très chargée et comptons déposer tout cela dans le garage qui donne sur une petite rue latérale. En ouvrant le garage je constate qu’il est totalement encombré. Impossible d’ y rentrer la voiture. Derrière le conducteur d’une camionnette s’impatiente. D. est au volant mais reste scotchée sur place avec l’homme derrière de plus en plus vociférant. Je sors de la voiture en ayant conscience de ma lâcheté à laisser D. seule face au problème et cours vers l’entrée principale de la maison, sur la place, en trainant une grosse valise.
Dans le hall commun de la maison je constate que les dalles au sol sont soulevées, voire, pour certaines, brisées. J’ouvre la porte de notre propre appartement et seulement à cet instant je prends conscience de la présence dans le hall de Monsieur I., l’artisan peintre qui est effectivement intervenu dans la rénovation de notre maison. Il est occupé à repeindre les murs, ce qui me surprend et me dépite car je croyais tout terminé. Cependant je m’excuse d’être passé devant lui sans le voir et le questionne sur ce qui passe. Il me dit que les dalles cassées ne sont pas de son fait, que ce sont des dégâts faits par les ouvriers polonais qui s’occupent du gros œuvre et qui travaillent comme des sagouins. Je monte dans les étages à leur recherche, complètement furieux. Au premier il y a quantité d’ouvriers en effet qui vont et viennent et qui manifestement s’apprêtent à partir, leur journée finie. Je leur parle mais ça tombe dans le vide comme si je n’étais pas là.
Je monte au second par une échelle de meunier et débouche dans un immense grenier. Il y a là également de nombreux ouvriers mais aussi toutes sortes de gens, de tous styles et de tous âges, il y a des matelas par terre, des bibliothèques aux murs, des gens discutent entre eux en feuilletant des bouquins, d’autres sont allongés sur les matelas, ainsi cette jolie jeune femme à la pose langoureuse dont je m’approche et qui me fait un sourire engageant. Plus loin un type est couché aussi, mais lui est terriblement agité, il crie, c’est un délirium tremens ou une crise de manque, la jeune femme me dit qu’il faudrait aller chercher des provisions pour lui, elle me demande si on peut payer par chèque, je lui réponds oui car j’ai envie de lui complaire, elle me plait bien, je redescends par l’échelle de meunier en me demandant avec anxiété comment je vais me débarrasser de cet envahissement de squatters, d’autant que je voudrais bien que tous partent mais que la jeune femme reste. J’atteins le bas de l’échelle de meunier quand je vois apparaître en haut des marches, un type qui n’a pas de tête, je suis terrorisé d’autant qu’il me domine de toute la hauteur de l’échelle et semble me menacer. Je réalise qu’il porte sa tête au creux de son bras et prend l’aspect d’une statue de Saint-Denis. De me retrouver face à cette figure connue apaise un peu ma terreur et je m’éveille entre panique et relatif soulagement…

3 commentaires:

  1. Il me semble que dans la période de transition que tu vis, toutes sortes de tensions sont un peu incontournables…
    J'avoue que j'ai même un peu souri que tu envisages la dernière journée comme quelque peu « ordinaire », comme si de rien n'était…

    Quant à ton rêve ! Je le trouve génial !
    Tu as l'art de raconter, on visualise tout très bien…

    et bon emménagement !

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  2. Bonjour Bernard

    Je suis en ce moment a Tokyo. Je ne dis pas ca pour me vanter mais ca me permet, peut etre, de mieux vous comprendre.

    Quel que soit le courage que l on affiche, changer de travail, changer de lieu de vie, c est toujours un traumatisme epouvantable.

    Carmilla

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  3. Merci Alain. Je suis toujours un peu réticent a déposer des rêves sur le blog car je me dis que ce doit être fastidieux pour un lecteur extérieur, sympa que tu me dises avoir apprécié.
    Et que tout, demain, se passe au mieux!

    Carmilla, je trouve un peu étonnant que le changement vous apparaisse traumatique, un "traumatisme épouvantable", à vous qui valorisez tant le mouvant et le multiple, enfin pas si étonnant, je sais bien qu'il y a derrière la vampire sûre d'elle-même et jouissant de ses errances, une humaine qui nous ressemble. Sourire. Bonne fin de séjour à l'est de l'est, revenez-en rassérénée.

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