Les jours où nous n’avons
aucune sortie particulière prévue je ne manque pas de faire un tour d’une à
deux heures et ce quelque soit le temps (ou presque : il faut vraiment
qu’il fasse calamiteux pour que je renonce, genre tempête d’Autan ou pluie
vraiment très soutenue toute la journée). Même si j’ai eu des activités assez
physiques « at home », si j’ai jardiné par exemple, il m’est
nécessaire cependant de sortir, de bouger en extérieur, hors les murs de la
maison et du jardin. Le plus souvent je fais ce genre de sortie seul et à vélo,
et j’aime cela, cette solitude, qui me permet de suivre absolument mon impulsion
de l’instant pour me diriger ici plutôt que là, pour accélérer, ralentir ou m’arrêter.
Le vélo, quant à lui, permet, sur un même temps disponible de deux heures de
temps, de rayonner plus loin, d’avoir, profitant de la multiplicité des toutes
petites routes et grands chemins qui irriguent la campagne environnante, une
multitude de possibilités. Bien qu’installé ici depuis maintenant deux ans, je
m’étonne de découvrir encore des itinéraires que je n’ai jamais emprunté, ce
qui à pied devient pour le coup franchement plus difficile.
Je m’arrête parfois juste
pour mieux emmagasiner l’instant. Puis les mots que j’en écris parfois après
coup sont encore une façon de les revisiter. Voici, par exemple, trois de ces
stations dans la période récente.
Le long de la Rigole, minuscule
canal qui conduit, en serpentant dans la campagne, les eaux venues de la
Montagne Noire jusqu’au seuil de Naurouze. Après avoir pas mal appuyé sur les
pédales pendant quelques centaines mètres pour m’amuser, pour changer de mon
rythme habituel très, très tranquille. M’être arrêté en ayant choisi un endroit
du parcours suffisamment éloigné de la grand-route pour ne pas en entendre la
rumeur. Avoir posé mon vélo, m’être assis sur une souche, avoir attendu que s’apaisent
en moi les agitations corporelles liées au récent effort, avoir porté mon
attention sur le mouvement de l’eau à mes pieds, sur le balancement légers des
branches au-dessus de moi. Et surtout sur les chants d’oiseaux, nombreux dans
ces haies, se modulant, se répondant, un véritable concert. Ce n’est rien du
tout, juste quelques chants d’oiseaux, c’est ici, c’est partout, à notre
disposition et gratuitement, sans le truchement d’un écran ou d’une machine, c’est
en réelle présence, il suffit de se mettre à l’écoute. (Je suis de plus en plus
souvent ému par ces simples et minuscules spectacles de la nature. Y ai-je été,
de plus, un peu sursensibilisé par la vision du merveilleux Bird people de Pascale Ferran. Pas
impossible.)
Débouché d’un chemin entre
bois et champ cultivé. Une lumière spéciale, très vive, grand soleil mais en même
temps, cumulus bourgeonnants et même dans une partie du ciel, des nuages très
noirs accusant les contrastes. Devant moi un champ de blé, dont les épis, pas
encore très hauts, mais déjà bien formés, ondulent dans le vent, formant des
sortes de vagues au parcours erratique. Au fond une belle rangée de cyprès,
quelques maisons enserrées dans leur bouquet de grands arbres, et au-delà, plus
loin, le moutonnement de la ligne des collines du Lauragais. Au milieu du
champ, un très bel arbre, je ne suis pas capable de le reconnaître à la
distance où je suis, c’est un beau feuillu en tout cas dont les branches aussi
se balancent doucement. Je bénis intérieurement le cultivateur qui a choisi de
conserver cet arbre qui complique sans doute un peu son travail et lui fait
perdre quelques brassées de grain, bonheur de penser que ce n’est pas
obligatoirement la productivité maximale qui est choisie au dépens de la
beauté. Là j’ai un peu regretté de ne pas avoir mon appareil photo, la lumière
était vraiment somptueuse mais je dois me dire qu’à coup sûr, elle était plus
somptueuse dans le réel et maintenant dans mon souvenir, qu’elle n’aurait pu l’être,
figée dans les pixels.
Sur la Rigole encore, un
autre jour, par temps très gris cette fois. Il est un peu plus de dix-sept
heures. Je m’arrête à la hauteur d’un homme et d’un petit garçon de six, sept
ans. L’enfant pêche. L’homme montre et explique. Il y a beaucoup de douceur et
de tendresse dans son regard, tandis que celui du petit garçon est chargé de
confiance et d’admiration. Je pense que c’est un jeune grand-père, j’imagine qu’il
a récupéré l’enfant tout à l’heure à la sortie de l’école. Nous ne nous disons
rien. Juste nous nous sourions et je repars rapidement. Me reviennent des images,
dans les allées du Grand-Rond à Toulouse, on avait récemment enlevé les petites
roues de mon vélo, ma grand-mère me maintenait, m’aidait à prendre de la
vitesse puis me lâchait. A un moment je suis tombé et me suis râpé le genou. J’ai
dû pleurer un peu peut-être et j’entends encore ma grand-mère me dire pour me
consoler : « c’est le métier qui rentre » et j’étais surpris,
détourné certainement de ma douleur, par cette drôle d’expression que, sans
doute, j’entendais pour la première fois et que je ne comprenais pas très bien.
J’aime ces transmissions.
Bonjour Bernard,
RépondreSupprimerC'est un texte magnifique, que j'ai d'ailleurs enregistré pour pouvoir le relire.
N'hésite pas à nous raconter d'autres moments comme ceux-là.
J'en vis régulièrement du côté d'Avioth, mon petit paradis accessible et réalisable.