Cela faisait encore une
bonne quinzaine que je l’avais carrément oublié celui-là : mon blog !
Je ne l’avais pas ouvert pas plus que les blogs que je lis à peu près
régulièrement. Là, ce matin, j’ai fait un peu de rattrapage. Mais décidément ma
blogovie est de plus en plus léthargique, comme si elle n’était qu’une
survivance…
Pourtant ça faisait un
moment que je ruminais une chronique. J’avais envie d’écrire sur Mrs Dalloway. Et de partager ma
chronique. Parce que je sais que plus d’une de mes lectrices sont des fans, que
j’avais discuté avec elles de mon incapacité à lire Virginia Woolf et qu’il me
plait de pouvoir leur dire, si toutefois elles passent encore sur ces pages :
ça y est, je suis rentré dedans, j’ai été au bout et ça m’a plu.
Jusque là j’avais abandonné assez
vite mes tentatives de lecture, que ce soit Les
Vagues, Voyage au phare ou Mrs Dalloway. Ça me tombait des mains
au bout de quelques pages.
La clé pour ce genre de
texte, c’est sûrement de pouvoir prendre le temps de s’y immerger suffisamment.
Ce ne sont pas des livres que l’on peut lire dix pages par dix pages. Il faut
pouvoir se pénétrer de l’ambiance, du charme de la prose poétique et aller
suffisamment loin pour pouvoir s’attacher à des personnages qui passent,
s’effacent puis reviennent au fil de leurs monologues intérieurs et d’une
construction assez complexe.
L’accès est difficile aussi
à cause du style lui-même, du choix des images qui, pour moi en tout cas, sont
le plus souvent inattendues, surprenantes. Et qui ne font pas écho directement
à des ressentis personnels. Du coup je n’accroche pas. Je lis d’un œil distant,
extérieur, me disant : c’est bien tourné mais, bon, un peu gratuit aussi.
Mais en même temps, ces images, elles sont riches, ouvrent loin. Peut-être
faut-il prendre le temps de les relire et leur suc alors apparaît.
Un exemple pour évoquer le
vide intérieur d’un personnage. « Comme un nuage qui voile le soleil, le
silence tombe sur Londres ; et sur l’esprit. L’effort cesse. Le temps
claque au mat. On s’arrête là ; immobile. Seul le squelette de l’habitude,
rigide, soutient la carcasse humaine. Dans laquelle il n’y a rien, se dit Peter
Walsh, sentant un creux se former en lui, un vide littéralement. ».
Je n’ai jamais ressenti sous
cette forme le vide intérieur. J’ai du mal à m’identifier, à adhérer. Ce n’est
pas de ces textes qui donnent de façon immédiate le plaisir de voir un écrivain
mettre les mots que l’on aurait voulu mettre soi-même sur un ressenti et qui
nous font dire : « ah, je ne l’aurais pas écrit aussi bien mais c’est
tout à fait ça ». Et pourtant quand on relit on se dit : c’est fort aussi,
« ce silence qui tombe sur l’esprit », ce « temps qui claque au
mat », ce « squelette de l’habitude »…
On est dans une technique
d’écriture et de construction de type unanimiste. On passe d’un personnage à un
autre au fil de simultanéités temporelles, de croisements géographiques, de
coïncidences mentales. Ce qui contribue à donner ce côté éclaté et pas facile à
suivre du récit. Il s’agit de rendre compte de ressentis presque impalpables et
de certains moments épiphaniques de présence intense au monde qui sont la seule
vérité de la vie. Plus que tous les autres (à l’exception peut-être du
personnage de Peter), Mrs Dalloway possède cette capacité exacerbée de présence
à l’instant mais au-delà plane l’ombre de la folie : le personnage de
Septimus n’est pas là pour rien et éclaire par anticipation le destin de
Virginia Woolf.
Peu à peu on perçoit les
liens entre les personnages d’abord disjoints, ils s’approfondissent en se
chargeant de leur passé et de leurs souvenirs. Lors de la réception chez
Clarissa qui clôt le livre tous les personnages, toutes les thématiques et
toutes les époques se tissent ensemble dans un magnifique morceau qui forme l’aboutissement
de tout le récit.
Tout se déroule au cours
d’une seule journée, rythmée par les cloches de Big Ben ou d’autres églises londoniennes
(The Hours était l’autre titre
envisagé). « Les cercles de plomb se dissolvaient dans l’air »
revient presque comme un mantra à de multiples reprises, belle image là encore
du déploiement du son du carillon puis de son effacement, tout comme le présent
est déjà simultanément aussi du passé.
Le récit se pare aussi d’une
solide charge satirique dans la description de la bonne société londonienne et
de ses snobismes. L’onde de choc du passage du « grand personnage »,
le repas chez l’intrigante Lady Burton, les figures contrastées mais aussi
ridicules l’une que l’autre des médecins rivaux. Comme chez Proust ces coups de
patte donnés d’une plume brillante savent faire sourire et contribuent à accrocher
l’attention.
Bref, on le voit, j’ai
finalement été conquis et je viens de reprendre dans la foulée Voyage au phare.
A part ça je profite de ce
billet pour signaler deux très beaux films que j’ai vu ces derniers temps et
que je recommande vivement.
Philomena, de Stephen Frears,
évoquant, la recherche de son enfant jusqu’aux Etats-Unis par une femme qui
s’était retrouvée adolescente dans un de ces odieux couvents irlandais pour
« filles-mères » que l’on connaissait déjà grâce au beau film Magdalene Sisters. Mais ici on est
plutôt centré sur une démarche individuelle et sur le temps d’aujourd'hui. La
femme, de condition modeste, toujours croyante, avait toujours gardé le secret
sur cette part de sa vie et sur ce déchirement. Mais, vieillissante, elle
éprouve le besoin impérieux de partir à la recherche de cet enfant perdu. Elle
le fait, aidée d’un journaliste qui l’accompagne dans sa quête. Le film est magnifiquement
interprété, jamais pesant et non dénué d’humour malgré le tragique de ce qu’il
raconte. Il n’y a pas d’happy end mais pourtant on sort rasséréné de cette
quête même si elle mène à une tombe. C’est un film simple, chaleureux, émouvant
et moi, qui n’ai pas la larme facile, j’ai senti à certains moments mes yeux
s’embuer.
Ida raconte quelques jours de
la vie d’une jeune femme polonaise au début des années 60, confrontée à la
découverte de ses origines juives et du massacre de ses parents pendant la
guerre, au moment même où, jeune novice, elle s’apprête à prononcer ses vœux
dans le couvent où elle a été élevée. Quête initiatique qui là aussi passe par
la confrontation avec les morts pour atteindre, peut-être, à la sérénité. Le
film est tourné dans un superbe noir et blanc qui permet tout autant de faire
ressortir la triste ambiance de la Pologne communiste que la lumière des
visages, tout spécialement celui de la jeune Ida. Cette capacité à faire
rayonner les visages de leur lumière intérieure m’a fait penser à Bresson. En
plus, pour ne rien gâter, il se trouve que j’ai vu ce film, profitant d’un bref
passage à Paris, dans la splendide grande salle du Louxor, récemment rénové et
que je ne connaissais pas encore. « Le Palais du cinéma », comme ils
disent. C’est juste et c’est plaisir de retrouver des salles pareilles. Avec en
plus le bar avec sa terrasse où on peut aller prendre un verre après la séance
et d’où l’on domine le carrefour Barbès et le métro aérien.
Hier, j’ai vu ici Twelve
years a slave. Ce n’est pas mal bien sûr. C’est intéressant. Très bien
interprété. Très bien filmé. Spectaculaire. Un peu trop peut-être. Une belle et
grandiose machine cinématographique. Je ne regrette pas du tout de l’avoir vu.
Mais je ne peux m’empêcher d’être bien plus touché, émotionnellement atteint,
par des films plus modestes, plus sobres, comme les deux précédemment cités.
J'avais lu Mrs Dalloway. Il y a longtemps. J'en garde le souvenir d'un éblouissement. Et ce billet extrêmement pertinent m'a donné envie de me replonger dedans.
RépondreSupprimerMerci de ce commentaire appréciateur.
RépondreSupprimerEt bonne relecture, alors!
J'ai vu les deux films dont tu parles et je partage tes appréciations. Ils sont tous les deux très beaux, et même enthousiasmants.
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