Nous avons voyagé avant-hier
et sommes donc arrivés dans notre maison. Nous achevons aujourd'hui, par
quelques jeux supplémentaires de chaises musicales, de faire de la place aux
endroits stratégiques pour pouvoir accueillir demain les contenus du camion de
déménagement venu de Paris.
Cette transition n’a rien à
voir avec un déménagement radical, lorsqu’on quitte un lieu pour ne plus y
revenir. L’émotion alors de la porte refermée sur la maison entièrement vidée est
plus violente. Et pourtant même avec cette transition douce les choses n’ont
pas été si faciles et je n’ai pas très bien vécu, à mon grand regret, ma « dernière »
journée parisienne, signe qu’il y a tout de même à l’œuvre dans notre décision de
départ des éléments et ressentis contradictoires, certains négatifs, même si le
positif l’emporte largement.
J’avais envisagé lors de
cette dernière journée, tous nos travaux préparatoires étant terminés, outre
une invitation à déjeuner de mon père et de ma belle mère, diverses activités,
un plongeon dans une piscine pour activer et délasser le corps qui en a besoin,
une sortie cinéma, je voulais voir « Augustine », film que j’aurai
sinon peu de chance de voir dans l’immédiat. La journée s’est mal emmanchée à
cause de divers retards et micro-contrariétés sur lesquels je passe et d’un
manque de réactivité de ma part, bref au final je n’ai rien fait de tout ça. En
soi et à distance, cela n’a vraiment pas d’importance. Mais la mauvaise humeur intense
et persistante qui en a résulté, elle, était vraiment débile. Elle a donné à toute
cette journée, que j’escomptais légère et plaisante, une tonalité d’ensemble plus
que grise. Elle est signe sûrement de tensions et d’inquiétudes sous-jacentes
que je me masque. Je me dis en particulier que l’agacement disproportionné que
j’ai ressenti d’avoir raté la séance du film que je voulais voir montre une
certaine résistance, quoique j’en dise, à m’éloigner de l’offre culturelle
pléthorique de la capitale et de sa consommation facile.
Ma première nuit ici a été
agitée. Je me suis réveillé à plusieurs reprises, traversé de lambeaux
d’angoisses. Je dis lambeaux car ça ne ressemblait pas à une véritable
angoisse, qui serre la poitrine et envahit tout, c’était un mal-être plus
diffus et plus mobile, des inquiétudes sans objets repérés, allant et venant
dans mon espace mental et se mêlant, entre veille et sommeil, à des rêves pénibles.
Au dernier réveil, vers six et heures et demi, je me suis secoué et me suis
levé. J’ai transcrit le rêve dans lequel la maison dans laquelle je venais
d’arriver tenait une place considérable. Je suis content en tout cas d’avoir pu
transcrire le rêve avant qu’il ne s’échappe. Qu’au moins, si les fantômes
nocturnes me visitent désagréablement, j’en garde trace, une fois sorti de leur
nasse, pour m’amuser de leur toujours surprenante inventivité.
Nous arrivons dans notre
maison, avec la voiture très chargée et comptons déposer tout cela dans le
garage qui donne sur une petite rue latérale. En ouvrant le garage je constate
qu’il est totalement encombré. Impossible d’ y rentrer la voiture. Derrière le
conducteur d’une camionnette s’impatiente. D. est au volant mais reste scotchée
sur place avec l’homme derrière de plus en plus vociférant. Je sors de la
voiture en ayant conscience de ma lâcheté à laisser D. seule face au problème et cours vers l’entrée principale de la
maison, sur la place, en trainant une grosse valise.
Dans le hall commun de la
maison je constate que les dalles au sol sont soulevées, voire, pour certaines,
brisées. J’ouvre la porte de notre propre appartement et seulement à cet
instant je prends conscience de la présence dans le hall de Monsieur I.,
l’artisan peintre qui est effectivement intervenu dans la rénovation de notre
maison. Il est occupé à repeindre les murs, ce qui me surprend et me dépite car
je croyais tout terminé. Cependant je m’excuse d’être passé devant lui sans le
voir et le questionne sur ce qui passe. Il me dit que les dalles cassées ne
sont pas de son fait, que ce sont des dégâts faits par les ouvriers polonais
qui s’occupent du gros œuvre et qui travaillent comme des sagouins. Je monte
dans les étages à leur recherche, complètement furieux. Au premier il y a
quantité d’ouvriers en effet qui vont et viennent et qui manifestement
s’apprêtent à partir, leur journée finie. Je leur parle mais ça tombe dans le
vide comme si je n’étais pas là.
Je monte au second par une
échelle de meunier et débouche dans un immense grenier. Il y a là également de
nombreux ouvriers mais aussi toutes sortes de gens, de tous styles et de tous
âges, il y a des matelas par terre, des bibliothèques aux murs, des gens
discutent entre eux en feuilletant des bouquins, d’autres sont allongés sur les
matelas, ainsi cette jolie jeune femme à la pose langoureuse dont je m’approche
et qui me fait un sourire engageant. Plus loin un type est couché aussi, mais lui
est terriblement agité, il crie, c’est un délirium tremens ou une crise de
manque, la jeune femme me dit qu’il faudrait aller chercher des provisions pour
lui, elle me demande si on peut payer par chèque, je lui réponds oui car j’ai
envie de lui complaire, elle me plait bien, je redescends par l’échelle de
meunier en me demandant avec anxiété comment je vais me débarrasser de cet
envahissement de squatters, d’autant que je voudrais bien que tous partent mais que la
jeune femme reste. J’atteins le bas de l’échelle de meunier quand je vois
apparaître en haut des marches, un type qui n’a pas de tête, je suis terrorisé
d’autant qu’il me domine de toute la hauteur de l’échelle et semble me menacer.
Je réalise qu’il porte sa tête au creux de son bras et prend l’aspect d’une
statue de Saint-Denis. De me retrouver face à cette figure connue apaise un peu
ma terreur et je m’éveille entre panique et relatif soulagement…