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dimanche 23 septembre 2012

Week-end bruxellois



Ah, que je suis à distance de la blogosphère ! De la semaine je n’y ai pas mis le nez, je n’ai pas été lire le moins du monde les blogs amis, je n’ai pas même été ouvrir le mien pour voir s’il avait reçu des commentaires, s’il avait vécu d’une façon ou d’une autre…
Je viens y faire un tour aujourd'hui, sans vraie conviction, juste peut-être pour ne pas perdre tout à fait la main.
D’autant que j’avais un peu de matériau depuis la semaine passée, quelques notes prises au débotté lors d’un agréable week-end prolongé à Bruxelles et que je voudrai conserver pour mémoire.
Lorsque nous avons fait notre randonnée en Afrique cet hiver nous avions sympathisé avec une voyageuse belge. Nous avons eu depuis l’occasion de la voir à plusieurs reprises en France et elle tenait cette fois à nous accueillir à son tour à Bruxelles.

Vendredi 14 : pour moi connaître une ville c’est d’abord y marcher. Nous rejoignons donc à pied depuis la Gare du midi, la chambre que C. a réservé pour nous dans le quartier africain de Matongé, clin d’œil à notre voyage. Puis expédition Musées, Magritte d’abord puis le Musée d’Art ancien, avec les superbes primitifs flamands. Magritte gagne à être vu. J’avais de lui l’image d’un peintre foncièrement froid, dans ses thématiques à l’inspiration surréaliste souvent répétitive, dans son dessin léché, dans ses couleurs. Mais l’œuvre vue en réel montre plus de force, de diversité et de subtilité. On se laisse happer par les images gigognes et notre imaginaire s’envole parfois à leur suite. Et puis quelles qualités de coloriste aussi, les transitions colorées sont superbes, la lumière peut être vibrante. Je suis resté par exemple un bon moment devant ce magnifique « Empire des lumières » justement:


Ensuite nous avons rejoint notre amie, avons retrouvé d’autres participants à notre voyage africain, avons passé une excellente soirée chez elle autour d’un lapin à la bière.
Samedi 15 : le matin promenade à proximité de notre chambre dans Ixelles, variété du style des bâtisses, ruelles presque provinciales, étroites maisons belges traditionnelles, autour des étangs villas opulentes, marquées souvent par leurs arrondis arts nouveaux. 

 "le petit pan de mur bleu", ruelle à Ixelles
Nous rejoignons ensuite le vieux centre, Grand-Place, rue médiévales autour, galeries Saint-Hubert, inévitable mais fort agréable arrêt bières/tartines à La Mort Subite. L’après-midi, C. nous avait réservé un circuit du « bus bavard », gratuit pour cause de Journées du patrimoine, sur la thématique de l’art de construire selon les époques et les technologies disponibles. Le guide était passionnant et c'était l'occasion de sortir des circuits touristiques traditionnels et d’avoir une vue plus globale de la ville. La cathédrale Sainte Gudule et les constructions médiévales pour commencer, la Bruxelles du 19°, le quartier européen, les bâtiments du cinquantenaire, le mini WTC (world-trade-center), l’ancien port et les entrepôts Tour et Taxis, de leur vocation d’origine à leur réaffectation actuelle. Après un petit moment de repos chez C., nous sommes allé dîner d’un repas de poisson sur le Quai aux Briques.

 Dans les anciens entrepôts, Tour et Taxi
Dimanche 16 : après avoir porté nos sacs à la gare, nous entrons dans le quartier des Marolles, furetons un peu au marché aux puces, grimpons sur l’esplanade du Palais de Justice puis redescendons vers l’église de la Chapelle puis les Sablons avant de tracer en direction de la magnifique maison Art Nouveau de Victor Horta, construite pour lui-même et devenue un musée. Ce dimanche est journée sans voiture dans toute la ville. Quel plaisir de déambuler paisiblement au milieu des rues par ce beau temps doux, parmi les cyclistes et les autres piétons, dans un climat plaisant de décontraction. A quand la même chose à Paris, Bruxelles ose bien faire ce genre de journée dans toute la superficie intérieure de son ring, alors qu’attend-on à Paris ? Après plus de deux mandatures écolo-socialiste, il serait tout de même temps de se lancer dans ce genre d’expérience. Nous avons ensuite regagné la gare par le quartier Saint-Gilles et repris le chemin de Paris.

                              Bruxelles sans voiture, une petite famille devant la porte de Halle

 Bien sûr allant à Bruxelles, je me suis dit que je pourrai en profiter pour essayer de voir mes amis belges de la blogosphère, Coumarine, Pivoine, Nuages. Je n’ai rien tenté finalement, le programme que C. nous avait concocté était trop serré, mais Bruxelles méritera bien que je revienne et cette fois il faudra que je m’organise pour cela. J’y ai d’autant plus pensé que je suis passé à Ixelles, territoire, je le sais par certaines de ses photos, de l’ami Nuages.
Et alors aussi peut-être tenterais-je de recontacter mes cousins de là-bas, pas vus depuis trente ans. Le hasard a voulu que le domicile de C. soit à quelques « blocs » (comme on dirait en belge) de la rue où vivait mes grands tantes que nous allions voir au moins une fois par an, quand j’étais enfant, au tournant des années 50 et 60. J’ai fait le pèlerinage vers leurs deux maisons mitoyennes que j’ai parfaitement reconnues, qui n’ont pas du tout changées. Je sais que plus personne de la famille n’y habite depuis bien longtemps. Je me souviens, à l’époque, le lait encore était livré ici chaque matin par des laitiers en carrioles à cheval qui déposaient les bouteilles de verre sur le perron. Si j’étais levé assez tôt, j’aimais être celui qui porterait la bouteille à ma tante, occupée, un demi-étage plus bas, à lancer le feu dans la cuisinière à charbon et à préparer le copieux petit déjeuner, avec la « fricassée » bien baveuse et les grandes tartines de cramique, qui nous accueillaient chaque matin.

jeudi 13 septembre 2012

Lectures par raccroc



On commence à s’engager sérieusement dans les tris de notre appartement dans la perspective de notre déménagement. Avant hier et hier, grande opération dans la cave et puis, à petites doses pour le moment, dans les rayonnages de la bibliothèque. Que jette-on, que donne-ton, que garde-t-on ici et qu’emportons-nous là-bas ? Ce n’est pas « comment j’ai vidé la maison de mes parents » mais n’empêche, tout ça, c’est quand même rien moins qu’anodin.
Nous avons une ressourcerie à proximité de la maison, c’est une entreprise d’insertion qui récupère beaucoup de choses et les remet en vente à bas prix. Il m’est agréable de penser que les objets et livres dont on se débarrasse vont aller là et pourront resservir, plutôt que de partir à la poubelle. Sauf pour quelques éléments de valeur, je préfère ça que tenter de vendre pour trois sous sur internet ou dans des vides greniers.

Le tri des livres est pour moi le plus laborieux. Il faut alléger absolument. S’agissant de livres courants, sans intérêt en tant qu’objet, on sait bien désormais que si par hasard on a vraiment besoin du contenu, on le retrouvera sans peine sur internet ou en bibliothèque. Mais quelle difficulté à se détacher ! Combien de fois j’ai mis un livre sur la pile à donner et puis, dix minutes après, je me suis dit : non quand même j’ai envie de le garder. Juste pour la présence. Pour le signe qu’il me fait même si je ne les relis pas. En souvenir aussi de moments qui ont toujours été pour moi de vifs plaisirs : explorer une bibliothèque, tomber sur de vieux livres par forcément intéressants, pas forcément à lire, mais plaisants à humer, à feuilleter, à parcourir, irruptions d’un autre temps dans le notre. Ainsi ai-je fait dans les bibliothèques de mes grands-parents, dans celles des grands-parents de D. surtout qui étaient plus fournies et plus anciennes. Et je ne peux m’empêcher de penser que ma propre bibliothèque pourrait, qui sait, et même si les temps et les usages changent, donner des plaisirs de cet ordre à mes enfants, à de futurss petits enfants… Bref inutile de dire que, de la sorte, les choses ne vont pas très vite !

Sans parler des cas ou après avoir feuilleté je me mets à relire ! Je suis tombé par exemple sur Les samouraïs de Kristeva, un gros volume, bien encombrant, de l’édition d’origine chez Flammarion. A priori je l’avais fléché pour donner. Et puis quand même…. Allez, quelques pages… Puis quelques autres… Et finalement relecture totale, certes un peu diagonale ! Ce n’est pas génial du point de vue littéraire mais c’est toute une époque évidemment. A priori je n’aime pas trop les romans à clés où se mêlent description d’une réalité dont on sait qu’elle est en partie déformée et invention romanesque. Un peu agaçant aussi, avec la distance temporelle, toutes ces affaires de cœur et de cul des gourous intellectuels germanopratins des années 60. Mais en même temps on ne peut s’empêcher de se laisser aller à une certaine curiosité people et à un certain amusement dans le décodage. J’ai retrouvé le papier que j’avais glissé lors de ma lecture de l’époque entre les pages avec les correspondances entre noms dans le récit et personnes réelles. Internet aidant je me suis amusé à aller vérifier. C’était facile et, à quelques exceptions près, tout était juste. Sauf Edelmann qui était Lucien Goldmann, le structuraliste littéraire, ça je n’avais pas trouvé à l’époque, j’avais laissé avec un point d’interrogation, et Benserade, qui était Emile Benveniste, je m’étais trompé, j’avais noté Dumézil. Mais tous ces gens qui nous disent encore quelque chose, non seulement en terme de positionnement philosophique, mais aussi en terme de présence dans l’actualité culturelle de l’époque, qui nous rappellent des débats passionnés et enfumés, seront-ils pour nos enfants autre chose que des froides notices dans des dictionnaires (enfin, sur wikipédia !) ?
Du coup j’ai aussi remis le nez dans Femmes de Sollers. Là je n’ai pas relu, juste feuilleté, humé quelques paragraphes. Je me souviens que j’avais tenté une relecture, il y a un an ou deux, au moment où j’écrivais un article sur Un vrai roman, Mémoires (un très bon livre pour le coup). Même jeu du roman à clef. Mais là franchement désagréable, très daté, ça m’était vite tombé des mains, les provocations misogynes y sont par trop déplaisantes (même si l’on sait que, précisément, ce sont des provocations dont s’amuse ce vieux renard de Sollers).
Et même j’ai farfouillé pour retrouver les Mandarins de Simone de Beauvoir, histoire de comparer, un bouquin dans le même genre, mais évoquant une période où je n’étais pas né. Il n’y est plus. Prêté, donné, perdu ? Je ne sais pas, mais quelle importance ? 

Allez, je clos là cette drôle de déambulation littéraire ! Et je les donne ces bouquins, je les donne nom de nom !
Pour l’heure je suis par ailleurs en plein montage du prochain numéro de la revue La Faute à Rousseau, mon nouveau petit boulot. Et en plus je pars demain très tôt pour un week-end prolongé, dont je vous parlerai peut-être… Alors, les livres, ça suffit, pour le moment laissez-moi vous laisser !

mercredi 5 septembre 2012

Contrastes



On est rentré donc. On s’active à divers chantiers pas plus passionnants les uns que les autres mais qui permettent de commencer à rayer les to do list de la rentrée. On se refait à la ville, à sa fébrilité, à sa promiscuité, à ses odeurs. Il faut en rabattre des grands espaces, de l’air vif, du ciel déployé. Quel contraste ! L’autre jour, c’était vendredi je crois, j’ai pris en pleine gueule la ville dans ce qu’elle a de plus répulsif. J’avais une course banale à faire mais nécessitant que je me rende au centre commercial à côté de chez nous. Oh ce n’est qu’un petit centre de quartier, bien plus modeste que le gigantesque Forum des Halles ou de similaires villes dans la ville. Mais tout de même ! Rentrer là-dedans, s’enfoncer sous les immeubles, perdre la vue du ciel, ne plus sentir le souffle de l’air, avoir le regard perdu de vitrines et d’enseignes racoleuses, zigzaguer entre les gens pressés ou déambulants mais qui en tout cas passent sans se voir, n’échangeant ni regard, ni sourire, ne parlons pas de salut ! J’ai ressenti le choc : les humains ont une drôle de façon de vivre tout de même quand on y pense ! Est-ce que ça peut être la vie ça ! J’ai fait ma course. Je m’étais dit que je profiterai d’être là pour visiter une célèbre grande enseigne culturelle, histoire de jeter un œil aux quatrièmes de couvertures des parutions de la rentrée. Je n’y suis pas resté cinq minutes. Mon impression d’être oppressé s’est encore accentuée devant ces accumulations de livres, de disques, d’écrans, de nouveautés technologiques, devant toutes ces choses qui voudraient me donner envie d’elles, devant ces gens vibrionnants, devant ces queues aux caisses. Je suis prestement remonté à l’air libre.

Bon, je sais, ce n’est qu’une première réaction et, comme tout un chacun, je retraverserai ce genre de lieux sans plus rien leur trouver d’inhumain, j’y vaquerai et peut-être même en y trouvant un certain plaisir. Et ce n’est pas la première fois, mais jamais il me semble ma réaction n’avait été aussi violente, mon envie de fuir aussi impérieuse. Est-ce que cela vient de l’ampleur et la brutalité du contraste avec mon bord de mer si peu de temps avant ? Est-ce la trace persistante laissée en moi par  Dans les forêts de Sibérie , dont je relis certaines pages pour rédiger un article ? Ou bien est-ce une évolution plus profonde de ma part qui signe mon aversion de plus forte à certains modes de consommation et marque que je suis mûr pour quitter la capitale ? Ce qui ne m’empêchera pas d’aimer toujours les grandes villes et même leur frénésie, mais pour y passer, pour les visiter, pas pour y vivre. Et puis, vous me direz, rien n’oblige lorsqu’on est en ville à se rendre dans ce genre de lieux, il y a encore des boutiques en surface et même des vraies librairies avec de vrais libraires dedans !

Mais il me faut dire aussi en contrepoint, un autre moment, un plaisir de la ville celui-là, un bonheur de salle obscure, Holy Motors de Leos Carax.
C’est vraiment un film qui mérite d’être vu. On est bien au-delà du récit, de la belle ou moins belle histoire, gentiment mise en scène et honnêtement réalisée. Il y a ici un souffle, une originalité, une créativité, bref une vraie patte de cinéaste qui nous emmène très loin par la seule magie des images, des échos qu’elles ont entre elles, des résonances qui se créent avec nos propres souvenirs ou notre imaginaire. Je m’étonne vraiment que Cannes n’ait pas trouvé un moyen de le distinguer d’une façon ou d’une autre.
 On peut trouver le film inégal. C’est mon cas. Certaines scènes passent moins bien que d’autres et frôlent l’ennui. J’ai remarqué que c’était surtout le cas des scènes où « ça parle », le dialogue du père et de sa fille, la scène avec le mourant, les retrouvailles avec l’amour perdu (quoique ici ce soit compensé par la déambulation dans la Samaritaine abandonnée et sur sa terrasse avec vue somptueuse sur Paris nocturne et sur un emblématique Pont-Neuf. Mais que de scènes extraordinaires : la scène d’ouverture, la chorégraphie étoilée, la séquence au Père Lachaise puis dans les catacombes, l’entracte musical dans l’église, l’automeurtre, le beau final de la conversation mélancolique des limousines. Carax a dit dans une interview que ce n’était pas un film sur le cinéma, ni sur le métier d’acteurs. Voire ! C’est en tout cas pour moi un film qui draine avec lui toute la magie du cinéma, de ses divers styles et formes, la magie aussi de la multi-incarnation de soi auxquels accèdent les acteurs au travers de leurs divers rôles et que symbolisent les transformations spectaculaires de Denis Lavant auxquels il procède entre ses divers « rendez-vous » dans sa limousine qui d’ailleurs ressemble au fur et à mesure de plus en plus à une loge d’acteur. Et l’on y devine aussi en filigrane la propre histoire de Carax dans son rapport au cinéma. Mais peut-être voulait-il dire dans cette interview que ce dont il parlait allait au-delà même de cette évocation du cinéma et parlait de la vie tout simplement, de la multiplicité des vies potentielles en chacun d’entre nous avec ce que cela peut comporter de richesse mais aussi de douloureuse instabilité et de possible schizophrénie. Ou bien encore voulait-il dire que son film, par delà toute signification, se voulait surgissement de beauté, « pour la beauté du geste » (c’est la réponse de Monsieur Oscar à l’homme à la tâche de vin qui lui demande pourquoi il continue). Et puis ce film est aussi un film sur Paris, sur ses rues et ses quartiers toujours très reconnaissables et qui forcément font écho chez un vieux parisien et ce plaisir là lui aussi vient faire contrepoint en positif à ces ressentis négatifs du retour que j’exprimais en début de billet. 

Pour rester dans les limousines j’ai vu aussi Cosmopolis de Cronenberg. Quelle déception pour le coup. Une métaphore simpliste et lourde de la crise de notre civilisation, un film verbeux et terriblement ennuyeux qu’on regarde de loin et en baillant, qui ne génère jamais d’émotion, sauf peut-être dans la scène chez le coiffeur dans laquelle s’invite un peu d’humain.