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mardi 10 juin 2014

Stations



Les jours où nous n’avons aucune sortie particulière prévue je ne manque pas de faire un tour d’une à deux heures et ce quelque soit le temps (ou presque : il faut vraiment qu’il fasse calamiteux pour que je renonce, genre tempête d’Autan ou pluie vraiment très soutenue toute la journée). Même si j’ai eu des activités assez physiques «  at home », si j’ai jardiné par exemple, il m’est nécessaire cependant de sortir, de bouger en extérieur, hors les murs de la maison et du jardin. Le plus souvent je fais ce genre de sortie seul et à vélo, et j’aime cela, cette solitude, qui me permet de suivre absolument mon impulsion de l’instant pour me diriger ici plutôt que là, pour accélérer, ralentir ou m’arrêter. Le vélo, quant à lui, permet, sur un même temps disponible de deux heures de temps, de rayonner plus loin, d’avoir, profitant de la multiplicité des toutes petites routes et grands chemins qui irriguent la campagne environnante, une multitude de possibilités. Bien qu’installé ici depuis maintenant deux ans, je m’étonne de découvrir encore des itinéraires que je n’ai jamais emprunté, ce qui à pied devient pour le coup franchement plus difficile.
Je m’arrête parfois juste pour mieux emmagasiner l’instant. Puis les mots que j’en écris parfois après coup sont encore une façon de les revisiter. Voici, par exemple, trois de ces stations dans la période récente.

Le long de la Rigole, minuscule canal qui conduit, en serpentant dans la campagne, les eaux venues de la Montagne Noire jusqu’au seuil de Naurouze. Après avoir pas mal appuyé sur les pédales pendant quelques centaines mètres pour m’amuser, pour changer de mon rythme habituel très, très tranquille. M’être arrêté en ayant choisi un endroit du parcours suffisamment éloigné de la grand-route pour ne pas en entendre la rumeur. Avoir posé mon vélo, m’être assis sur une souche, avoir attendu que s’apaisent en moi les agitations corporelles liées au récent effort, avoir porté mon attention sur le mouvement de l’eau à mes pieds, sur le balancement légers des branches au-dessus de moi. Et surtout sur les chants d’oiseaux, nombreux dans ces haies, se modulant, se répondant, un véritable concert. Ce n’est rien du tout, juste quelques chants d’oiseaux, c’est ici, c’est partout, à notre disposition et gratuitement, sans le truchement d’un écran ou d’une machine, c’est en réelle présence, il suffit de se mettre à l’écoute. (Je suis de plus en plus souvent ému par ces simples et minuscules spectacles de la nature. Y ai-je été, de plus, un peu sursensibilisé par la vision du merveilleux Bird people de Pascale Ferran. Pas impossible.)

Débouché d’un chemin entre bois et champ cultivé. Une lumière spéciale, très vive, grand soleil mais en même temps, cumulus bourgeonnants et même dans une partie du ciel, des nuages très noirs accusant les contrastes. Devant moi un champ de blé, dont les épis, pas encore très hauts, mais déjà bien formés, ondulent dans le vent, formant des sortes de vagues au parcours erratique. Au fond une belle rangée de cyprès, quelques maisons enserrées dans leur bouquet de grands arbres, et au-delà, plus loin, le moutonnement de la ligne des collines du Lauragais. Au milieu du champ, un très bel arbre, je ne suis pas capable de le reconnaître à la distance où je suis, c’est un beau feuillu en tout cas dont les branches aussi se balancent doucement. Je bénis intérieurement le cultivateur qui a choisi de conserver cet arbre qui complique sans doute un peu son travail et lui fait perdre quelques brassées de grain, bonheur de penser que ce n’est pas obligatoirement la productivité maximale qui est choisie au dépens de la beauté. Là j’ai un peu regretté de ne pas avoir mon appareil photo, la lumière était vraiment somptueuse mais je dois me dire qu’à coup sûr, elle était plus somptueuse dans le réel et maintenant dans mon souvenir, qu’elle n’aurait pu l’être, figée dans les pixels.

Sur la Rigole encore, un autre jour, par temps très gris cette fois. Il est un peu plus de dix-sept heures. Je m’arrête à la hauteur d’un homme et d’un petit garçon de six, sept ans. L’enfant pêche. L’homme montre et explique. Il y a beaucoup de douceur et de tendresse dans son regard, tandis que celui du petit garçon est chargé de confiance et d’admiration. Je pense que c’est un jeune grand-père, j’imagine qu’il a récupéré l’enfant tout à l’heure à la sortie de l’école. Nous ne nous disons rien. Juste nous nous sourions et je repars rapidement. Me reviennent des images, dans les allées du Grand-Rond à Toulouse, on avait récemment enlevé les petites roues de mon vélo, ma grand-mère me maintenait, m’aidait à prendre de la vitesse puis me lâchait. A un moment je suis tombé et me suis râpé le genou. J’ai dû pleurer un peu peut-être et j’entends encore ma grand-mère me dire pour me consoler : « c’est le métier qui rentre » et j’étais surpris, détourné certainement de ma douleur, par cette drôle d’expression que, sans doute, j’entendais pour la première fois et que je ne comprenais pas très bien. J’aime ces transmissions.