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mardi 19 novembre 2013

Boire un petit coup, c’est doux …



Temps absolument calamiteux depuis trois jours. Ciel complètement bouché, une petite pluie froide qui n’arrête pas. Je ne me plains pas. C’est tout simplement normal. C’est de saison comme on dit. Ça irrigue la terre, remplit les nappes phréatiques.
Sauf que je n’ai pas mis le nez dehors. Au bout d’un moment ça pèse. Très adapté cela dit à ce que j’ai à faire. Toujours mes plongées dans les profondeurs du journal d’Henri-Jacques Dupuy. Ce qui aussi, à la longue, est légèrement déprimant. J’ai fini mes lectures. J’en suis à sélectionner des textes que je vais lire. Je les teste, vois le temps qu’ils prennent et je fais ma composition. Au bout d’un moment cependant j’avais la tête comme un pot, s’arrêter était bienvenu.

Je suis seul ce soir. D. ne rentrera que tard dans la nuit. Mais je me suis fait une bonne petite bouffe. Petits morceaux de blanc de poulet sautés aux endives, citron vert, curry et crème fraîche. J’ai pris une bière dans mes réserves. Une Bush que m’avait apporté une amie belge. Puis une autre. Très bonne. Je regarde l’étiquette. Costaud. 12 degrés quand même. Pas très étonnant qu’au bout de deux fioles je me sente légèrement pompette.
Je me sens bien. Juste ce qu’il faut pour être dans la détente, le bien-être et en état de réceptivité maximum. Pas assez pour être incommodé, suffisamment pour être dans une présence intense aux sensations qui me parviennent : le goût à la fois doux et acidulé de ce que je mange et que je déguste avec lenteur, les photos sur le pêle-mêle en face de moi, notre mariage, ma mère, mes grands-parents, ils ne sont plus mais leurs images vibrent en moi, la musique, ce disque de Katie Melua que je n’avais pas écouté depuis deux/trois ans peut-être mais qui m’a fait de l’œil tout à l’heure dans ma discothèque quand j’ai sélectionné les disques qui accompagneraient mon repas. J’écoute vraiment, la musique a totalement envahi mon espace mental, ces notes bien découpées sur le silence, cette voix qui s’envole et que je suis. Souvenirs qui reviennent des circonstances dans lesquelles j’ai découvert ce disque et de la personne qui me l’a fait découvrir. Le temps est passé....
Je traîne à table, je reste longuement à l’écoute de moi-même et de ce qui m’entoure, en vérité je commence dans ma tête ce billet que maintenant, un peu plus tard, je suis monté écrire pour de vrai sur mon ordinateur, avant d’aller me glisser dans mon lit avec un bon livre.

jeudi 14 novembre 2013

Coup de blues:


Je n’étais pas très bien ces jours ci. Comme un manque d’appétit généralisé. Rien qui ne me motive vraiment. Le matin, un éveil sur des journées sans promesse. Mes insomnies à répétition y sont sûrement pour quelque chose. Je n’arrive pas ensuite à me mettre à des activités demandant un tant soit peu d’implication, travailler, écrire. Je traîne, je zappe, la journée passe…
En plus j’ai dû faire face à une assez sérieuse contrariété matérielle. Ce n’est que matériel et pas vraiment grave, donc je devrais m’en détacher sans peine. Mais je n’y parviens pas. Je me dis que j’aurais pu, en agissant différemment, faire que ce qui a causé cette contrariété ne se produise pas. Peut-être mais peut-être pas. En tout cas, comme à mon habitude dans ce genre de situation, je ne peux m’empêcher de ressasser mon éventuelle erreur, redoublant ainsi la contrariété objective d’une pénible auto flagellation qui est la vraie source de mon malaise, bien plus que le souci d’origine.

Tout, alors quand je suis dans cet état d’esprit, m’agresse. La simple lecture du journal m’est pénible. Il faut dire que rien ne va fort en ce moment et que les nouvelles inquiétantes s’accumulent. Rien ne semble aller dans le bon sens ni pour la terre dans sa globalité, ni dans la situation internationale, ni dans la société française. La crise se digère mal. Les tentatives de régulation du système financier s’enlisent, les paradis fiscaux se portent mieux que jamais, les efforts pour juguler la crise climatique sont reportées aux calendes, les communautarismes s’exaspèrent, les frontières se referment. Partout des réactions de frilosité, de peur, de repli. L’Europe tourne à vide et la politique française quant à elle semble frappée d’impuissance. J’ai voté pour Hollande sans attendre de miracles et bien conscient que la route ne serait pas semée de roses. Mais là on reste confondu devant la multiplication des couacs et des zigzags. L’exemple de la fiscalité est caractéristique. Par refus d’engager une véritable réforme d’ensemble, pourtant présente dans son projet et pour laquelle existait des pistes sérieuses, notamment à partir des propositions de Piketti, on se retrouve avec des mesures qui vont dans tous les sens, qui manquent de lisibilité, rajoutent de la complexité. Et qui donnent prise à l’affirmation de tous les intérêts particuliers, aux manifestations de tous les groupes de pression y compris les plus ringards. L’écotaxe, sur le fond, était un bon principe, la voici compromise ou en tout cas repoussée aux calendes, tandis que brûlent les portiques chargés d’en préparer la collecte, comme brûlent aussi des radars de contrôle de vitesse, dont la multiplication pourtant contribue à sauver des vies. C’est un climat de jacqueries qui s’installe qui repose sur de véritables exaspérations mais qui profite aussi aux manipulateurs d’extrême-droite qui peuvent s’en donner à cœur joie pour jeter de l’huile sur le feu ou pour réactiver les propos racistes les plus nauséabonds.
Je me refuse au mépris systématique de la classe politique et suis agacé par le discours trop fréquents sur le « tous pourris ». Je veux bien que les politiques soient tous manœuvriers et portés par des ambitions personnelles, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont mus par le seul cynisme, il y a parmi eux des gens qui y croient et essaient de faire avancer les choses. Dire le contraire c’est alimenter encore un peu plus le délitement de la démocratie et de la société, contribuer à faire le lit des Marine Le Pen et des pires populismes. Mais force est de constater que dans la dernière période, les politiques se donnent pas mal de verges pour susciter de telles réactions de rejet et cela me désole profondément.

En voyant les portiques brûler, j’ai eu un flash. Chili, été 1973. A Santiago, de la terrasse de notre hôtel, peu avant notre retour vers l’Europe, j’observe de haut les camionneurs qui obstruent les rues, allument des feux aux croisements, lancent des fumigènes. Bien sûr les situations n’ont rien à voir. N’empêche l’image m’est revenue, ce n’est pas un hasard. Je me souviens que j’avais écrit il y a quelques années un billet sur mon séjour au Chili. Magie des liens hypertextes et de la fonction recherche dans les blogs. Je le retrouve. Le voici. Relu avec émotion. Comme elles paraissent vieillottes ces pages internet d’alors, mais le texte je l’écrirai de la même façon aujourd'hui. Peut-être que ma sensibilité exacerbée face à l’évolution générale du monde et, plus spécifiquement, face à l’impuissance de nos politiques, vient en vérité de là : me souvenir de ce à quoi j’ai cru, me souvenir que, passé les années activistes et ses désillusions, je ne me suis jamais moi-même investi dans l’action publique, en garder comme une culpabilité sous-jacente qui, sans vraiment devenir consciente, remonte silencieusement en moi dans mes moments de fragilité.

Bon, je ne vais pas en rester là, sur ces notes un peu sombres. Ça va mieux. Hier nous avons fait trois bonnes heures de marche, dans un paysage noyé de brume et de bruine. Ça fait respirer et ça décape le corps mais la tête aussi. Les élagueurs sont passés dans le jardin, redonnant une respiration à « l’allée aux figuiers » qui était devenu une jungle et moi j’ai planté un cerisier, acheté au marché aux arbres du 11 novembre. Et puis j’ai pu me mettre à écrire ce texte et aller jusqu’au bout. Ça m’a permis de sortir de l’apathie. Indépendamment du plaisir que je peux prendre à écrire (je ne l’ai pas tellement ressenti avec ce billet), il est sûr que le simple fait d’avoir l’esprit focalisé sur une réalisation peut faire du bien et que c’est bien là une des raisons principales qui depuis des années me fait écrire. 
Ce matin j’ai mis à mariner deux kilos de bourguignon, tout à l’heure je vais entrer en cuisine, un bon plat roboratif en perspective pour ce soir et, le froid arrivant, sans doute allumerons-nous un premier feu dans la cheminée et mettrons-nous à griller quelques châtaignes avant d’aller nous poser devant la suite de Top of the Lake, l’excellente série télé de Jane Campion. Pour l’heure je relis et complète ce billet avant de le mettre en ligne. Puis je vais reprendre ma plongée dans le journal Dupuy, délaissée depuis pas mal de temps. Il faut que je m’y remettre, la présentationque nous devons en faire approche.

mercredi 6 novembre 2013

Plongée délétère



J’ai donc profité, le week-end dernier, du temps médiocre et de ma solitude, pour me plonger dans les boîtes d’archives dans lesquelles je serre toutes mes écritures, celles de ce blog comme celles des précédents, les entrées que j’ai publiées, comme celles que j’ai retenues dans mon privé (gêne à l’égard de tiers, images de moi que je n’avais pas envie de donner), des journaux d’avant internet, quelques correspondances et quelques tentatives d’écriture de fiction, des nouvelles principalement…

Tout ça est à peu près classé, organisé, trié. Ma névrose d’ordre a été suffisamment opérante pour qu’il en soit ainsi. Bon, c’est déjà ça. Mais je me suis un peu torturé sur ce que je pouvais améliorer. J’avais envie de faire des tirés à part, par exemple de tout ce qui concerne les rêves, pour avoir une sorte de cahiers de rêve, dans lequel, précisément, aller rêver. J’aurais voulu aussi améliorer ce que j’appelle mes mémentos, liste de films vus, de livres lus, d’expositions ou visites diverses, qui n’ont pas donné lieu à un compte-rendu développé dans un billet mais dont j’aime cependant à conserver une trace et dont je constate que j’ai beaucoup de mal à les tenir ne serait-ce qu’à peu près à jour. Les relectures entreprises, le zapping au milieu de ces pages, m’ont vite donné le bourdon. J’ai papillonné dans tout ça, sans parvenir à me mettre à rien vraiment, conscient de ce qu’il y a de mortifère dans ces accumulations, dans cette volonté d’organisation qui se voudrait totalisatrice.

J’ai idée de déposer tout ce qui est autobiographique à l’APA un de ces jours. J’ai la faiblesse de croire que certains plus tard pourront avoir quelques plaisirs de lecture avec mes textes, comme j’en prends moi-même avec des écrits de ceux qui m’ont précédé. Et certains y trouveront peut-être des aliments à des études sur l’air du temps où j’aurai vécu. Tout ça n’est pas faux.
Et c’est en tout cas, une des choses que je me dis pour justifier à mes propres yeux ces heures et ces heures d’écriture et la conservation que j’en fais. Mais l’essentiel et qui vous saute à la gorge, quand on se relit ce n’est pas ça. Ce n’est pas la pensée de ce qui servira peut-être et de la trace infime qu’on laissera. Ça c’est pour les autres. Pour soi, ce qui est l’évidence c’est que la pelote se dévide à toute vitesse et de plus en plus vite à mesure qu’on avance. Les entrées vous renvoient à des pensées, à des sentiments, à des évènements qu’on dirait d’hier et puis on réalise que c’était il y a cinq ans, il y a dix ans. On peut certes avoir un certain plaisir à se relire, en réactivant certains moments, en les faisant vibrer à nouveau en soi, mais c’est de plus en plus rare, car, de plus en plus, c’est le caractère parfaitement vain de cette tentative de retenir le temps qui vous étreint. Bien sûr on l’a toujours su. Mais on ne le vivait pas de la même façon, on pouvait se raconter des histoires, se prendre à l’illusion, se dire qu’on se construisait aussi avec ça, qu’on s’aidait de son passé pour aller de l’avant. Ça ne marche plus désormais. On y va de l’avant, ça c’est sûr, on y va, on y va, vers l’inévitable déclin.
Bref, sauf recherche particulière, on ne se fait pas plaisir à farfouiller là-dedans, pas plaisir du tout. La lecture continue sans objectif particulier ou la promenade de hasard est délétère. 

Il faut toujours garder à l’esprit l’idée d’un bon usage de nos écritures. Le bon usage, le seul véritable bon usage, c’est la capacité que l’on a de se faire plaisir au travers d’elles. Et ce bon usage n’est sûrement pas le même à vingt ans, à quarante ans, à soixante ans. Plus on avance, plus le plaisir ne peut se faire que dans l’immédiat, le plaisir de l’agencement des mots, le plaisir d’une page que l’on juge réussie, le plaisir de l’écho que tel ou tel lecteur nous en donnera. Tant qu’il y a cela il y a un sens à continuer. Mais si cela devait disparaître ou par trop s’émousser, alors il faudrait s’arrêter et s’arrêter sans le remords de renoncer à conserver.
Le tombeau que l’on constitue par la conservation et l’accumulation dans la perspective de donner a peut-être un sens, un sens pour ceux qui recevront, pas pour nous-mêmes. Cela vivra peut-être un peu quand on n’y sera plus, mais justement, on n’y sera plus. Pour nous le tombeau n’est qu’un tombeau.


dimanche 3 novembre 2013

Les chatons



L’autre jour, alors que l’on mettait un peu d’ordre dans le coin où l’on regroupe tout ce qu’on récupère de bois pour la cheminée, on a fait fuir, en soulevant une panière de petit bois, la grosse chatte noire à demi sauvage qui a pour territoire les rues et jardins avoisinants. Au fond du grand coffre où l’on entasse des sections de branches un peu plus importantes, trois petites boules de poil. Après un premier mouvement de recul dû à la surprise, on s’est approché mieux, je me suis décidé à y mettre la main, non sans une certaine répulsion. Mais non ça ne mord pas, ni ne va se briser entre mes doigts ! J’ai pris les boules l’une après l’autre puis les ai remises délicatement à leur place. Il y a là deux chatons tout à fait noirs, un autre complètement blanc. Ils sont doux, tièdes, ils ouvrent à peine les yeux. Ils ont le poil lisse, ils sont mignons, ils ont l’air en bonne santé. La voisine, plus experte, vient les examiner à son tour : deux femelles, un mâle.
Qu’en faire ? Un instant me traverse l’esprit d’en garder un. Je sais bien qu’il n’en est pas question, D. a toujours dit qu’elle ne voudrait jamais d’animaux à la maison et cela est bien convenu entre nous. Pas question bien sûr de les euthanasier. Les donner donc. Pas de candidats autour de nous. Il y aurait la ressource du marché, s’y poster avec une pancarte « chatons à donner », on l’a vu faire, je crois que ça marche. On téléphone à la Mairie qui nous passe la police municipale. Justement, ce même jour, ils ont une personne qui doit se rendre au refuge pour animaux d’une petite ville voisine, on peut leur confier. J’installe donc les trois chatons dans une boîte à chaussures et je vais les porter. Non sans un certain malaise. Survivront-ils ? Trouveront-ils preneurs ?
L’après-midi, le lendemain, on aperçoit la chatte, qui tourne à la recherche de ses petits, l’âme en peine ou, en tout cas, la mamelle douloureuse. Ça fait peine. Mais je crois que nous avons bien fait. Cette chatte, et d’autres de ses congénères sans doute, avaient pris l’habitude ces dernières années, notamment pendant toute la période entre l’incendie et la réhabilitation de la maison, lorsque le jardin était devenu une véritable jungle, de venir faire leurs petits ici. Depuis qu’on est là on se bat pour faire fuir les chats qui viennent dans le jardin (enfin on se bat est un grand mot, on ne leur jette pas des pierres, simplement on fait des grands gestes pour les éloigner) et, de fait, on en voit désormais plus rarement qu’au début de notre présence régulière ici.
Ces chats, en particulier cette belle chatte noire, n’ont pas l’air faméliques du tout. Il doit y avoir certainement une ou des maisons proches qui les nourrissent. Ce ne sont que des demi-sauvages. Disons plutôt des sans propriétaires attitrés. A moins même qu’ils n’aient des propriétaires mais qui les laissent vagabonder.
J’ai été un peu triste en tout cas, pour cette chatte et pour ces chatons, de couper ainsi violemment ce lien qui les unissait, cette transmission de vie. Réaction d’urbain sans doute. Nos grands-mères ne se privaient pas autrefois de garder un chaton d’une portée et de noyer impitoyablement les autres. Quelle horreur !

Je suis seul à la maison pour quelques jours. J’en ai profité, outre pour avancer sur quelques travaux et articles que je dois à l’APA, pour faire une plongée dans des textes anciens, réfléchir à ce que je voulais en faire et, de fil en aiguille, sur l’évolution et le sens de toutes mes activités d’écriture depuis des années. Ça m’a plutôt plombé, peut-être mettrais-je en forme ces réflexions et ressentis dans un prochain billet. La maison se refroidit progressivement mais je n’ai pas encore allumé le chauffage ni même fait de feu dans la cheminée. Un moment de lecture un peu long et on se retrouve frigorifié. Pourtant le temps reste très doux. Hier, c’était incroyable, il faisait bien plus chaud à l’extérieur qu’à l’intérieur, j’ai déjeuné sur la terrasse, puis, après avoir fait un tour, je me suis réinstallé à lire dans le jardin jusqu’à la tombée du soir. Les tomates vont finir par mûrir, deux ou trois sont prêtes à être cueillies, je vais les croquer ce soir. Deux nouvelles roses encore sont écloses, une jaune et une rouge. La vigne vierge a brusquement roussi en quelques jours et commence à perdre ses feuilles. Tandis que je lisais, une mésange s’est posée et est restée un long moment sur un des piliers de pierre sur lequel s’appuie la tonnelle. C’est vraiment un joli petit oiseau, élégant et gracile. J’ai écouté son chant. C’est un visiteur bien plus rare dans ce jardin que les merles et les martinets. Et je me dis à l’écouter, que l’éloignement des chats, aussi désagréable ait-t-il été, n’est pas un malheur pour tout le monde. Ils ne se seraient pas encombré de considérations morales si d’aventure la petite mésange était tombée entre leurs crocs.